Le jeune joueur wallon de cornemuse s’est mis depuis plusieurs années à la gaita, avec un succès impressionnant. Nous l’avons rencontré à Bruxelles en juillet dernier.

Marc Bauduin

 

avec Susana Seivane à Gooik(photo Patrick Vanreusel)

Q : Comment as-tu commencé la cornemuse, avant de te mettre à la gaita ?

R : A l’âge de 10 ans en Corse, j’ai entendu pour la première fois une cornemuse lors d’un concert d’ I Muvrini, cela fut un coup de foudre pour moi. J’ai eu ma première cornemuse, une 16 pouces du modèle Centre France fabriquée par Olle Geris, vers 12 ans. J’ai appris à jouer avec Luc Demulder, un ami de la famille qui est à la fois musicien de jazz et cornemuseur. Ensuite avec Franco Delvecchio, puis des stages à Neufchâteau, avec Eric Montbel. Mais aujourd’hui la gaita est l’instrument dont je joue le plus souvent.

Q : Pourquoi et comment es-tu passé à la gaita ?

R : Le premier album de cornemuse que j’ai reçu fut A irmandade das estrelas de Carlos Nuñez. Je l’écoutais sans vraiment faire la différence entre les types de cornemuses. Puis j’ai découvert d’autres groupes galiciens, et l’idée est venue d’acheter une gaita. Je l’ai eue en 2008, à 16 ans. C’était une Seivane, des fabricants que j’avais rencontrés au festival de Lorient. C’est très facile de leur commander une gaita sans parler espagnol : tu peux configurer l’instrument sur leur site, et elle arrive par la poste. Ce sont sans doute parmi les meilleurs experts de gaita pour des clients à l’étranger.

Q: Comment as-tu appris ?Le doigté n’est sans doute pas le même ?

Avec Anxo Lorenzo Band(photo Lieve Boussauw)

R: Le doigté est différent, mais ce n’est pas une grosse difficulté de passer d’un à l’autre. La différence, c’est plutôt une autre manière de jouer, une autre technique, une autre musicalité. J’ai commencé à jouer tout seul pendant quelques mois, puis avec Miguel Allo(de Camaxe) pendant un an et demi. C’est un excellent joueur, avec un jeu traditionnel, c’est vraiment une aubaine d’avoir quelqu’un comme lui en Belgique. Puis j’ai continué en autodidacte, en écoutant des albums et en regardant des vidéos sur YouTube avec le doigté en gros plan. Ensuite j’ai fait huit voyages en Galice.

Dès 2010, j’ai joué avec des musiciens galiciens qui venaient en Belgique,comme Anxo Lorenzo. J’avais suivi un cours en Galice avec lui, et je lui avais envoyé un mail pour proposer de jouer quelques morceaux à deux avant le concert. Il m’a répondu : d’accord, mais sur scène ! C’était au festival d’Attert,et cela s’est répété notamment avec d’autres musiciens comme Carlos Nuñez, Susana Seivane et The Chieftains.

Q: comment est Carlos Nuñez, humainement ?Et les Chieftains, ça collait entre la gaita et la musique irlandaise ?

Avec Carlos Nuñez en Galice (photo Benoît Kensier)

R: Carlos Nuñez fait souvent monter des musiciens sur scène. Il a une énergie incroyable, et c’est un grand communicateur. Une énergie rock and roll ! C’est une personne passionnée et généreuse, mais avant le concert … chut ! le musicien se concentre .Quant aux Chieftains, ils ont fait un album Santiago sur la Galice dans les années 90; un des chefs d’orchestre était Carlos Nuñez. On y entend un morceau qui est un duel entre la gaita et la cornemuse irlandaise (“Dueling Chanters”), nous l’avons joué au concert à Flagey.

Q : Joues-tu dans des groupes ?

R: Pas de manière fixe. Pendant deux ans il y eut les rencontres de cornemuses à Nivelles et leur concert final dans la collégiale.En 2014, j’ai animé un exposé-concert dans un parcours d’artistes. J’ai fait pas mal de concerts avec A Contrabanda. J’aimerais trouver un guitariste ou un joueur de bouzouki. Également un deuxième mélodiste, par exemple un violon ou un accordéon. Je suis ouvert aux autres musiques, mais mon instrument est évidemment parfait pour la musique galicienne. Je joue aussi du whistle irlandais.

Avec un élève àMuziekpublique (photo Anais Tamen)

Par ailleurs je suis des stages en Galice (j’ai donc appris l’espagnol) qui sont organisés par le secrétariat de l’immigration du gouvernement galicien pour toutes les personnes qui sont d’origine galicienne ou membres de centres galiciens. Pendant deux semaines, une centaine de personnes, en grosse majorité d’Amérique latine se rencontrent pour des cours de musique, de gaita, de percussions, de danse, de confection de costumes traditionnels, avec bien sûr des visites d’artisans et de lieux touristiques, et la fête dans les rues chaque soir. Puis je donne des cours de gaita à Muziekpublique depuis deux ans. Le cours sera ouvert aussi aux jeunes à partir de dix ans. On commence avec une flûte : soit une flûte à bec en plastique qu’on trafique pour changer le doigté, soit une en bois qu’on commande chez Seivane.

Q: Parlons maintenant de la Galice : qu’est-ce que cela évoque pour toi?

R: Une musique festive, très lumineuse. J’aime le soleil !Tout est très dynamique, spontané,les gens parlent fort. La musique traditionnelle et la gaita sont très connues. Tout a explosé dans les années 1980-2000 avec la mode celtique, avec l’arrivée de solistes comme Carlos Nuñez (son premier album s’est vendu à 200.000 exemplaires) ou l’intérêt des multinationales pour les artistes galiciens. Jusque 2001, c’était le boum de la gaita, au point que les gens saturaient de voir des gaitas à la TV- d’après une anecdote d’un compagnon musicien. Il y a énormément d’écoles (ou associations culturelles) de musique et de danse,avec plus de 20.000 participants selon un recensement de 2004.

Cantigas de Santa Maria

Depuis le début des années 90, on peut commencer la gaita à l’académie et la terminer au conservatoire en combinaison avec un autre instrument (de musique classique). Des joueurs de gaita font donc aussi une autre musique comme la musique baroque ou contemporaine.Certains trouvent un nouveau doigté pour jouer sur deux octaves et demie chromatiques.C’est d’un dynamisme extraordinaire, également dans la construction d’instruments. On fabrique des chalumeaux télescopiques, et un bourdon qui a toutes les tonalités de ré à sol.Un artisan a reconstruit une cornemuse du 13ème siècle en partant d’une illustration des Cantigas de Santa Maria : deux chalumeaux, deux bourdons sur l’épaule et deux vers le bas,avec un système pour couper chalumeaux et bourdons. Cela fait deux cornemuses en une !

Q: Quels sont les musiciens et groupes les plus connus ?

R: Nuñez, Seivane, Budiño, AnxoLorenzo… Berrogüetto (le meilleur groupe de musique galicienne pour beaucoup, qui a arrêté il y a un an), Milladoiro, Mercedes Péon, Son de Seu (une quarantaine de personnes sur scène, tous élèves de la Etradde Vigo, un très gros spectacle) … Et il y a des centaines de groupes traditionnels à découvrir sur place, des “bandes de cornemuses” qui jouent dans des festivals et dans des fêtes. On trouve aussi pas mal de groupes novateurs,par exemples des groupes de jazz qui revisitent le répertoire traditionnel ou une rencontre entre la musique de Cuba et de Galice.

Q: Y a-t-il plusieurs styles traditionnels de jeu ?

R: L’an dernier, j’ai découvert à Lugo un style que je ne connaissais pas, qui m’a beaucoup plu, avec des cornemuses très puissantes, un autre timbre et d’autres ornements. Il y a d’ailleurs deux “écoles” d’artisanat en Galice : les Seivane dans le nord, avec un timbre dit féminin, et l’école Corral (qui ont une véritable école, ils forment des artisans) à Vigo,avec un timbre dit plus masculin.

Q: Un de tes plus beaux souvenirs ?

R: J’ai eu un week-end un peu surréaliste de quatre jours à Noël 2012: j’ai logé chez Carlos Nuñez, avec Anxo Lorenzo nous avons été chercher ma nouvelle cornemuse à l’atelier Corral , et le soir même j’ai participé à un concert de Nuñez et 25 autres compagnons cornemuseurs ! Une des plus belles choses en Galice, ce sont pour moi les quartettes traditionnels de cornemuses.

Q: Des projets?

R: J’ai rencontré récemment un organiste qui m’a proposé un concert avec orgue. Il existe un répertoire pour orgue et gaita par Ernesto Campos. L’idée est de monter un concert d’une heure, différent de ce que je joue d’habitude. Un morceau peut parfois faire sept pages, le côté classique est plus présent.

 

Contact : benoitkensier@hotmail.com
Voyez aussi “Benoit Kensier”sur YouTube.

(paru dans le Canard Folk de septembre 2015