Photo : Kwac Studio – Barbara Hamoline

En plein hiver 2010, elle est partie seule en Suède étudier les danses traditionnelles de ce pays. L’école est gratuite mais les cours se donnent en suédois. A -35°, la neige est omniprésente. On se dit qu’une telle expérience doit contribuer à forger un caractère. De retour en Belgique, elle devient la personne de référence en matière de polskas. Depuis lors, ses activités autour des danses wallonnes la mènent à devenir spécialiste dans ce domaine également, mais c’est une autre histoire sur laquelle nous ne lui avons pas demandé de s’exprimer. Aurélie a choisi de raconter elle-même sa passionnante aventure, et ceci clôt notre série sur la formation en Suède.

Marc Bauduin

7 janvier 2010, environ 20h

Photo : Kwac Studio – Barbara Hamoline

Les portes du train s’ouvrent sur une nuit glacée. Une journée entière de voyage pour arriver là, dans le silence de Malung. Mon premier pas le brise : à -35°C, la neige sous mon pied grince d’une manière jamais entendue jusqu’ici. Quelle entrée en matière ! Sur le site de la folkhögskola, personne ne circule. Nous sommes au plus profond de l’hiver suédois, tout le monde est reclus. Je suis les instructions pour trouver la clé de ma chambre au sein de l’internat de l’école, je m’installe. Devant moi, sept mois d’exploration, de découvertes, de rencontres, de réflexions. Une expérience fondatrice, transformatrice. Le début de quelque chose, assurément !

Je suis heureuse d’être arrivée jusqu’ici, d’autant que ce n’était pas gagné ; cela fait seulement trois semaines que j’ai eu l’accord de l’enseignante pour rejoindre la formation (à condition de m’engager à parler le suédois une fois sur place). En amont, pour m’inscrire, un formulaire, une lettre de motivation et une lettre de recommandation (certaines écoles demandent d’envoyer une vidéo). Rien de bien compliqué, en somme.

Salle de danse à Malung

De janvier à fin mai 2010, je suivrai ainsi les cours de « danses traditionnelles » (folkdans) suédoises à la folkhögskola[i] (trad. : « haute école populaire ») de Malung, à l’ouest de la Suède, dans la région du Dalarna. L’enseignement prodigué par ce type d’établissement s’adresse à toute personne majeure, et chaque école a ses particularités, ses spécialités. A Malung, outre les cours de type « promotion sociale » (apprentissage de la langue suédoise, « rattrapage » scolaire…), on peut par exemple suivre des cours de vie en plein air, de forge, d’artisanats divers, ainsi que de chant, de musique et de danse traditionnelle. Ces cours, proposés sur des durées diverses (un an, six mois, quelques semaines ou quelques jours) ne sont pas nécessairement destinés à se professionnaliser, mais fournissent une formation sérieuse et approfondie dans les différents domaines proposés ; libre aux élèves d’utiliser cette clé pour rejoindre ensuite une haute école, un conservatoire supérieur. Aspect non négligeable et absolument incroyable du point de vue d’une Belge : cet enseignement est actuellement entièrement pris en charge par l’état suédois. Je ne paierai donc que pour dormir et manger, car la formation est gratuite… même pour moi, qui suis étrangère !

8 janvier 2010, 8h30

Kwac Studio 2020

Premier contact avec mes partenaires des mois à venir. Au sein du cours de danses suédoises, nous sommes onze hommes et femmes, de 18 à 55 ans. Avec des envies, des formations, des objectifs bien différents qu’il nous faudra partager au quotidien : cette expérience s’annonce riche ! J’ai potassé quelques phrases en suédois pour me présenter, j’y arrive de manière satisfaisante mais ma capacité à communiquer dans la langue de mon pays d’accueil s’arrête là pour l’instant. A la plongée dans les musiques et danses de Suède s’ajoutera donc celle de la langue, d’autant plus que j’ai décidé de ne pas converser en anglais en dehors des cours, ce qui me faciliterait pourtant la vie. J’ai bien suivi une dizaine de cours en Belgique avec l’accordéoniste belgo-suédoise Elisabet Brouillard et suivi quelques leçons d’une méthode bien connue, mais pas de quoi converser efficacement. Ce fut difficile, oui, mais quelle satisfaction de pouvoir aujourd’hui partager le quotidien des Suédois.e.s sans traduction. On a pas fait mieux que l’immersion pour apprendre une langue et la culture dans laquelle elle s’inscrit. Aucun regret malgré la fatigue liée à la concentration extrême et l’inévitable sentiment de solitude, particulièrement au début.

Janvier-mai 2010

Durant cinq mois, toute la journée, cinq jours par semaine, je suis donc un cours de « danses traditionnelles » suédoises. La danseuse Brita Ström sera notre professeur principale, relayée par d’autres intervenant.e.s tout au long des mois sur des répertoires spécifiques (polskor[ii] de différentes régions, notamment). Au programme : des polskor, donc, mais pas uniquement. Et surtout, un travail d’exploration du mouvement qui dépasse largement l’apprentissage de pas. Beaucoup d’expérimentations et de discussions autour de celles-ci, beaucoup de moments où nous dansons seul.e.s, aussi, afin d’affiner la conscience de ce que nous faisons et l’écoute de la musique qui nous porte. A côté de la pratique, nous aurons notamment l’occasion de visiter la Rättviks Folkmusikenshus, un pôle important pour les musiques et danses traditionnelles en Suède, et nous participerons à divers événements locaux ou plus loin en Suède, aussi.

Salle de danse à Tobo (ESI)

Aujourd’hui, cette formation n’existe plus à Malung sous cette forme ; l’école propose encore des formations en danses de Suède, mais sur des temps plus courts[iii]. Pour vivre une expérience du même type, on peut se tourner vers l’Erik Sahlström Institutet (ESI) à Tobo (près d’Uppsala, au nord de Stockholm), qui propose un cours de danse sur un an.

A Malung sont toujours organisés, sur une durée d’un an, des cours de violon et de chant traditionnels (idem à Tobo, sauf le chant). Cette combinaison permet des liens entre musicien.ne.s et danseur.euse.s, concrétisés à l’époque (en 2010) lors des torsdagdansen (« danse du jeudi »), des rencontres en musique et en danse gérées uniquement par les élèves. Le fait de proposer ces trois cours au sein du même établissement permet de nourrir le lien musique-danse, la conscience que nous faisons partie d’un tout et que, lors d’un bal, nous travaillons « de concert » : une véritable richesse dans le cadre des musiques à danser… évidemment !

Juin-juillet 2010

Kwac Studio 2020

Les cours se terminent fin mai, ce qui permet aux Suédois de profiter au mieux de la période estivale, autour du solstice d’été (le midsommar est un moment important dans la vie des Suédois.e.s). Cette période marque l’arrivée des festivals et stämmor[iv]. Au volant de mon bolide rouge, je parcours la Suède, je prolonge les rencontres effectuées les mois précédents. Les événements auxquels je me rends (Ransäterstämman, Bingsjöstämman, Korrö Folkmusikfestival, entre autres), tout comme les quelques bals auxquels j’ai eu l’occasion de participer durant ma formation, me permettent de mesurer ce que j’ai assimilé, de vivre autrement les danses apprises et d’élargir mon petit réseau dans l’univers des danses et musiques traditionnelles en Suède.

Prolongements

Photo – Véronique Chochon

Par la suite, l’occasion m’est très vite donnée d’enseigner les danses de Suède, à Bruxelles sous la forme de cours hebdomadaires, et ensuite un peu partout en Belgique et France principalement, sous forme de stages ponctuels et de bals.

Duo TC + AG – Photo-Véronique Chochon

J’ai la chance de m’associer à divers artistes de Belgique (e.a. Elisabet Brouillard, Leonor Palazzo), France (e.a Duo Tanghe-Coudroy) et Suède (e.a. Mia Marine, Josefina Paulson, Petra Eriksson) afin de continuer à répandre la bonne nouvelle suédoise, avec un plaisir toujours renouvelé même après 14 ans !

Enfin, j’ai eu la chance d’intégrer ce temps passé en Suède au master en anthropologie dans lequel je m’étais engagée. Les milieux dans lesquels j’ai évolué ont donc constitué le « terrain » à partir duquel j’ai écrit mon mémoire Danseurs de polska : règles de l’interaction dans les bals en Suède. Cela m’a permis de pousser la réflexion autour de ces répertoires de musique et de danse, de rencontrer beaucoup de personnes très intéressantes, d’observer et de comprendre peut-être plus profondément ce que je n’aurais fait qu’effleurer sans ce but. Tout ceci m’a par ailleurs permis de porter un regard autrement éclairé sur le monde du bal folk/trad en Belgique et en France, ce qui à mes yeux fut une réelle richesse supplémentaire.

Photo-Véronique Chochon

Ai-je atteint mes objectifs ? Très largement ! Me plonger dans le répertoire des musiques et danses de Suède. Prendre le temps de réfléchir et d’expérimenter le corps dans une danse traditionnelle européenne. Prendre du recul, observer et mener une réflexion sur les aspects culturels des danses suédoises. Sans cette expérience, je n’en serais pas là où je suis aujourd’hui, toujours passionnée par ce répertoire et avide de transmettre un peu de la Suède à laquelle j’ai eu le plaisir de goûter !

[i]    folkhögskola : littéralement « haute école populaire »
[ii]   polskor : pluriel de polska = famille de danses suédoises, en couple
[iii]   En distanskurs (quelques weekends par an) et une semaine de stage fin juillet en parallèle de stages de musique
[iv]   stämma (plur. : stämmor) : trad. approx. « rencontres de musicien.ne.s »

Ressources :

Pour plus d’informations sur l’enseignement des musiques et danses traditionnelles en Suède (juste quelques exemples) :

Malungs Folkhögskola : www.regiondalarna.se/malungsfolkhogskola/ovrigt/in-english/
ESI Tobo : www.esitobo.org
Birka Folkhögskola : birka.fhsk.se

Où danser en Suède et ailleurs en Europe ?

Voici LA carte des festivals, écoles et lieux de danses et de musiques, éditée par l’association française CMTN, très bien réalisée (ce site internet est précieux également pour savoir ce qui se fait autour des répertoires scandinaves en France et dans les pays limitrophes):

Et pour danser avec moi, c’est par ici : www.aureliegiet.be

Aurélie Giet   contact@aureliegiet.be

Calamalys-Photo – Basile Jacqmain
  • Mon site (voyez mon agenda pour les prochains ateliers de danses suédoises – et wallonnes – et bien d’autres choses !) : www.aureliegiet.be
  • Duo Tanghe-Coudroy (avec qui je collabore pour des ateliers de danse et des bals à consonance suédoise) : www.martincoudroy.com/les-stages.html
  • Calamalys (bal folk avec deux complices de toujours, Marinette Bonnert et Michel Jacqmain) : www.calamalys.wordpress.com

 

  • Cirque Pacotille (cirque familial basé dans le nord de la France, dont je fais partie avec mes enfants) : cirque-pacotille.fr/

 

 

 

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