Cette rubrique se veut ouverte, de bric et de broc, à tout fouineur amoureux de la tradition musicale, chantée et dansée de nos régions. Comme autant de loupiotes allumées aux fêtes et kermesses, comme autant de brandons réchauffant les veillées, puissent ces traces de nos ménétriers nous éclairer sur notre patrimoine musical populaire. Ce patrimoine qui, fatigué de dormir dans les musées, se veut accessible à tous, et en constante évolution par une pratique contemporaine.

7./ La vie quotidienne d’un marchand d’instruments de musique en 1857.

Dans nos recherches sur le terrain à la poursuite des derniers témoins des fêtes villageoises en Ardenne et Gaume, nous avons eu l’immense bonheur de rencontrer le détenteur d’un épais carnet relié de toile qui contenait, comme il était d’usage à cette époque, toutes les copies manuscrites de la correspondance que le marchand d’instruments de musique Joseph Mangain de Lamorteau entretenait avec ses clients ardennais et gaumais mais aussi avec ses fournisseurs à Paris.

Il porte le titre prosaïque de « Livre de toute correspondance divers » et couvre une période d’une dizaine d’années de la vie professionnelle de ce commerçant particulier.

Il fallait faire venir cette marchandise de Paris. Souvent, elle voyageait en diligence, toujours accompagnée d’un homme de confiance ou à pied quand il n’y avait pas d’urgence.

Ce document nous livre également le nom des clients et toujours le lieu de destination des instruments ; ce qui nous a permis de circonscrire l’aire géographique à l’intérieur de laquelle se pratiquaient ces échanges commerciaux. Nous avons pu constater qu’elle peut se superposer à la Gaume actuelle et l’Ardenne française réunies. Monsieur Mangain se plaint d’ailleurs dans une lettre adressée à son fournisseur parisien des difficultés qu’il éprouve de faire commerce avec les gens du nord – c’est à dire l’Ardenne au nord de Bastogne- car dit-il « ces gens là ont cent ans de retard sur nous »

Voici à titre d’exemple le bilan d’une année de ventes et d’achats – année 1857

 

INSTRUMENTS DE MUSIQUE VENDUS  PARTITIONS VENDUES
Clarinettes à 6 ou 13 clefs 19  Quadrille 299
Cornets à piston 6  Varsoviana 36
Néo-cors 2  Rédowa 10
Flûtes 8  Mazurka 28
Flageolets 16  Valses 8
 Marches 3
Deux réparations d’accordéons  Pas redoublés 6

 

QUADRILLES et autres airs à danser
Nom 1er violon 2e violon Clarinette Piston Basse
Cupidon 3 2 3 2 1
Les Fanfares de chasse 5 5 4 4 2
Les menus plaisirs 3 3 2 3 2
etc …

 

D’emblée, deux questions se posent à nous :

1 / Il est évident que les clients de Joseph Mangain étaient en priorité les harmonies et fanfares du pays et les musiciens de bal – en petite formation – issus tous de ces mêmes fanfares. Mais qui donc venait danser sur ces nouveaux airs à la mode ?

2 / A la même époque, à dix kilomètres de là vivait François-Joseph Jamin, illustre auteur d’un carnet bal contenant avant tout des airs de Contredanses, des Anglesses, des Walzes, des Marches de procession et de mariage et autres standards de la fin du 18e siècle. A quel public étaient destinées ces mélodies jouées souvent à deux violons ?

Ci-dessous : détails du tableau de Eugène COPUS (début du 19e s.) « La fête au Pâquis »

Walter et Jacqueline Lenders

(paru dans le Canard Fok de mars 2001