Connaissez-vous la danse dont il est question ici ?

(…) Ses genoux fléchissaient presque imperceptiblement, et avec les bras, elle battait une sorte de mesure. Je réalisai qu’elle était en train de danser. Quand elle s’aperçut que je l’admirais, elle rejeta malicieusement la tête en arrière, me lança une œillade, me fit du gringue. Je répondis par un déhanchement. Nos chamoisines se saluèrent.  »Je danse », s’écria-t-elle, en exécutant une gracieuse pirouette. Pas de canne en vue, bien sûr. « Vous aimez danser ? » « Oh oui! Nous allions toujours danser, c’était délicieux, toute la nuit. Lorsqu’il y avait un bal, ou une noce chez les fermiers, nous dansions sans interruption. Plus ça tournait vite, mieux c’était. Vous pratiquez toujours le tour à gauche, vous autres, en valsant ? » Je la regardai bêtement.

« Mais oui, c’est plus rapide, n’est-ce pas, expliqua-t-elle. On tourne à droite, normalement. Valser vers la droite, c’est amusant aussi, mais vers la gauche, ça va beaucoup plus vite. » C’était curieux, mais nous avions les mêmes goûts en matière de musique de danse. La plupart des chansons à la radio ne lui plaisaient pas du tout. Mais dès que résonnait un rythme de musique techno, la  jointure de sa cheville entrait en action. Elle battait la mesure avec sa pantoufle. « Beau morceau », approuvait-elle d’un hochement de tête.

« Tous les dimanches, nous allions danser. C’était à une heure de marche. Nous marchions jusqu’en ville, où il y avait une sorte de restaurant, et au-dessus ils avaient fait des pièces pour danser. Et puis il fallait remarcher une heure pour rentrer!Je rentrais toujours en retard. Je devais traire les vaches. Chaque soir à six heures, je devais traire les vaches. » Puis elle mentionna une danse dont je n’avais jamais entendu parler. Sans doute une espèce de square dance. « Au! zum Frasé* ! C’était la plus belle des danses! C’était la plus longue! Elle durait bien cinq ou dix minutes. Oh, nous l’adorions! Quand on annonçait Au! zum Frasé !, nous nous précipitions tous sur la piste ! » Peu après, elle revint sur le sujet. « Et il y avait la Frasé’ C’était une danse Fransoziscbe, une belle danse la plus belle! Elle comptait sept figures, sept pas – oui, c’était une longue danse. C’était si amusant. On annonçait: Au! zum Frasé ! et nous courions vers la piste. Est-ce qu’on la danse encore, Frasé? » « Pas que je sache. » « Ah! C’était tellement beau. Vous la connaissez? Non? Personne ne connaît ici. En ville, ils ne raffolaient pas autant de la Frasé qu’à la campagne. »

extrait de
Anton VALENS Homme de ménage . Ed. Actes Sud,
2010 pr trad française p166-167 (Edit néerlandaise 2004)

ML.Carels

(paru dans le Canard Folk de mars 2012)