Elisabeth Melchior (à gauche) (photo Françoise Lempereur)

Vous la connaissez sûbrement de nom, par les airs qu’elle nous a transmis : on parle de « sa » mazurka, de « sa » scottish …

C’est dans l’ancienne ferme de ses parents, située à Walk (commune de Waimes, près de Malmédy) que je l’ai rencontrée.

Sympathique, accueillante, Elizabeth Melchior, à l’approche de la soixantaine, reste bon pied, bon œil et … très bonne joueuse d’accordéon diatonique. 8ien sûr, elle joue beaucoup moins souvent que jadis, mais elle accepte encore parfois d’animer l’une ou l’autre fête. Tenez, l’autre jour, c’était une fête d’enfants, là plus haut …

Ses airs et ses chansons, elle les tient de son père, également joueur d’accordéon. Son père, encore gamin, jouait déjà du diatonique (une seule rangée, et deux basses en forme de cuillère); les autres enfants venaient régulièrement l’écouter.

Pourquoi diable jouait-il de l’accordéon ? Avait-il vu quelqu’un en jouer ? Mystère… Toujours est-il qu’il se mit à animer régulièrement des fêtes. Au carnaval, il jouait, assis sur un tas de paille, pour le plus grand plaisir des participants masqués.

Les gens du village venaient souvent chez les Melchior : on savait qu’il y aurait de la musique et des chants, donc de l’ambiance. Le salon est pourtant petit !

Et c’est lors d’une de ces soirées qu’Elizabeth, alors âgée de quatre ans, empoigna l’accordéon de son père pour en tirer quelques notes. « On a senti qu’il se passait quelque chose », dit-elle.

Elle persévéra et, deux ans plus tard, comme elle avait été bien sage, elle reçut à la Saint- Nicolas un superbe accordéon allemand à deux rangées et huit basses (venant de Klingenthal, mais ce n’était pas un Höhner, me dit-elle). A six ans, elle donna san premier « concert » à l’école du village.

Les gens s’habituèrent à la voir jouer aux mariages, aux communions, aux diverses fêtes : elle acquérait en effet une véritable dextérité. « Je crois que la musique est un dan, dit-elle : on l’a ou on ne l’a pas. Il y a des parents qui forcent leurs enfants à apprendre la musique, mais cela ne sert à rien, ils ont tort. »

Une chose est certaine : la famille avait la musique dans le sang. Deux oncles d’Elizabeth jouaient de l’accordéon diatonique, et un autre du violon. Ses oncles et son père allaient apprendre des airs chez un violoneux dans un autre village.

« Il s’appelait Pierre … au Jean-Pierre … peut-être Jean-Pierre Loffet. Il connaissait les notes, et il donnait des cours. Sa femme montrait les danses avec beaucoup d’enthousiasme : la danse des Tchèrons, et tout. »

Elizabeth jouait aussi, et chantait, lors des fêtes qui se tenaient dans la toute petite salle de l’ancien café du village. Les femmes y venaient vêtues d’une jupe plissée et chamarrée, et partant un grand foulard comme pour aller faner.

L’accordéon de son père, ça c’était le « vrai » diatonique. « Avec une seule rangée, il n’y avait pas moyen de tricher. II fallait pomper, ce n’était pas de tout repos ! Tandis que maintenant, avec deux rangées, il y en a qui font vraiment n’importe quoi, ce n’est plus de la tradition ça ! Ils jouent des airs de genre anglais, ou même du musette … »

Il faut dire qu’Elizabeth Melchior joue avec une belle énergie. Difficile de résister à l’envie de danser! Et elle ne « croise » que lorsque c’est absolument nécessaire.

Pourtant, vers 18 ans, après la guerre, elle abandonna le diatonique pour le chromatique. A son ancien répertoire vinrent s’ajouter les danses à la mode. Elle jouait seule, comme auparavant, mais parfois aussi accompagnée d’un trompettiste et d’un tambour.

Et un jour, dans les années 70, Françoise Lempereur, lors d’un de ses collectages de musique et de chansons traditionnelles, la découvrit. Elle découvrit une véritable mine de vieilles chansons, dont Elizabeth Melchior avait noté soigneusement les paroles. C’est grâce à elle qu’Elizabeth Melchior prit conscience de l’importance de son héritage et se remit à l’accordéon diatonique (un Höhner tout neuf acheté à Aix).

Elisabeth Melchior jouant dans un café de Namur – Wisconsin (USA) en juillet 1976. De gauche à droite : 1) Philomène Gehlen, chanteuse traditionnelle de Sourbrodt (décédée); 2) assise : une certaine madame Chaudoir, Wallonne du Wisconsin; 3) Elisabeth Melchior; 4) Françoise Lempereur; 5) Henri Schmitz, le violoneux bien connu (décédé). (photo Françoise Lempereur)

Françoise Lemprereur fit part de sa découverte à Claude Flagel, qui collabora à la réalisation des disques du CACEF où figurent notamment des enregistrements d’Elizabeth Melchior. Celle-ci céda son ancien accordéon diatonique à Claude Flagel, qui le fit restaurer.

En 1974, Fiançoise Lempereur et Alexandre Keresztessy (RTBF Charleroi) tournèrent un court métrage intitulé « Podrî-lès-avrûles (derrière les grandes haies), folklore musical des Hautes Fagnes » où apparaît notamment Elizabeth Melchior, ainsi que deux violoneux de la région (Henri Crasson et Mathieu Michel).

En 1976, c’est la consécration : Françoise Lempereur, encore elle, arrive à Walk avec un Américain chargé d’inviter aux Etats-Unis pour fêter le deux centième anniversaire de leur indépendance, des musiciens traditionnels de différents pays.

Elizabeth fut sélectionnée (un voyage inoubliable de 24 jours, elle qui n’avait jamais quitté sa région) en compagnie de quelques autres musiciens belges : le violoneux Henri Schmitz (qui allait mourir peu après ce voyage), des musiciens flamands (cornemuse, épinette …)

Récemment, des groupes de danses folkloriques de la région l’ont encore suppliée de jouer pour leurs spectacles, mais elle a refusé : « Ça prend du temps, et je ne suis quand même plus si jeune ».

De sa réputation, elle ne tire aucune prétention, uniquement une satisfaction énorme. Ses prestations ont un caractère tout simplement normal : elle est restée simple.

Elle participe encore à la chorale de l’église. Elle s’est chargée bénévolement du contrôle des quelques chômeurs du village, pour qu’ils ne doivent pas se déplacer jusqu’à Waimes. On vous disait qu’elle était sympathique !

Marc Bauduin

Discographie:

Anthologie du folklore wallon, vol 4 : airs à danser (CACEF 1977, fm 33006):
-le carillon de Dunkerque
-maclote (« la maclote la plus difficile à jouer fort, à cause des tiré-poussé)
-la danse des Tchèrons
-mazurka
-scottish

Idem, vol 3: chansons de mariage (CACEF 1975,fm 33005):Rosette.

Waimes itinéraire musical (1977, fm 33007): elle y joue « les sept djours do l’samène » avec Henri Crasson, alors âgé de 75 ans, au chant. « Chaque jour de la semaine a sa destination propre ; le dimanche et le jeudi, on allait courtiser les filles: pas trop souvent donc, pour ne pas se lasser! »

(article paru dans le Canard Folk de septembre 1984)