Je me souviens de mes premiers stages à Neufchâteau au début des années 80, avec Christian Oller qui nous apprenait la scottische de Salesse, avec un concert innovant Oller-Yvert, avec aussi une exploration très technique par Jean-Pierre Yvert de la musique suédoise (il en était un pionnier en France) lors d’un mini-concert dans une mini-salle … Plusieurs moniteurs français d’accordéon et de violon, en ces temps-là, faisaient déjà du collectage depuis plusieurs années. Avec l’éternel maitrank et sa tranche d’orange, signes de ralliement des folkeux à Neufchâteau, était-ce le bon vieux temps ? Et au fond, toi, Christian Oller, comment as-tu débuté dans tout ça ?

Marc Bauduin
(Interview durant le confinement, 31/3 et 1/4, par e-mail)

R : C’est au folk club La Chanterelle, fondé à Lyon en 1972 (ndlr : il existe toujours, voir Facebook) que j’ai démarré en autodidacte simultanément le violon et l’accordéon diatonique. Il en est ressorti dans les années 75 le groupe Le Claque Galoche, qui a enregistré deux disques chez Arfolk (Bretagne) et jouait en concert et pour le bal.
Pierre Imbert Eric Montbel et moi-même avons formé Le Grand Rouge, groupe professionnel, avec Olivier Durif en 1976, émanation d’un ensemble du même nom qui lui-même était composé d’une quinzaine de musiciens issus eux aussi de la Chanterelle.

Mon histoire musicale est fortement liée au Grand Rouge et à son successeur Lo Jaï. Rétrospectivement, on est restés une quinzaine d’années en vivant exclusivement sur ces deux groupes, ce qui me semblerait plus compliqué aujourd’hui : 15 ans de vie commune intense à 4 musiciens animés aussi par la passion de recherche de terrain nommée “collectage” en semaine, et les concerts-bals du week-end, formule prisée à l’époque.

Puis il y a eu la saga avec Jean-Pierre Yvert et nos créations autour de l’accordéon diatonique … (ndlr : voir la présentation du cd “Oller & Yvert” ci-dessous)

Q : avant que l’explorateur que tu es ne change radicalement de cap vers 1989 …

R : Au sortir de tout cela j’ai eu plus envie de formules différentes. Durant cette deuxième période, j’ai longtemps travaillé avec une compagnie de théâtre puis de danse contemporaine. La collaboration avec le chorégraphe Philippe Decouflé m’a ouvert beaucoup de portes, car la danse contemporaine et le théâtre sont très présents sur Lyon, or j’habite au sud de Lyon à la campagne.

Q : En pratique, que proposes-tu actuellement comme formules ?

R : Mes activités actuelles sont influencées par ces années “deuxième période”. Les plus fréquentes sont des spectacles avec images, mais pas uniquement. Cela m’intéresse d’explorer d’autres formes musicales. J’ai participé à toutes sortes de spectacles, j’en ai créé aussi comme Mondéolino de 1990 à 1995 (NDLR : voir la présentation du cd “Mondéolno” ci-dessous).
Je joue en ce moment dans des petites formules : des spectacles musicaux avec image et ciné-concerts en solo ou en duo avec Pascale Aymes.
Je joue aussi dans le trio Bombarou Orchestra et de temps à autre pour des promenades musicales avec un naturaliste, une comédienne et un autre musicien.
Je joue aussi pour des danseurs contemporains en stages ou ateliers et je pratique d’ailleurs, pour le plaisir cette fois, en amateur, la danse contact.
Je continue d’animer des ateliers d’accordéon diatonique bi-mensuels sur Lyon, et j’organise un stage d’été instrumental la troisième semaine d’août.

Q : Ouf’ti ! Tu ne t’embêtes pas. Mais qu’entends-tu exactement par ciné-concert : tu joues pendant ou après le film ?

R : Un des ciné-concerts qu’on joue le plus est un film documentaire qui montre une famille de bergers dans les Cévennes filmée dans les années 1980 par Jean-Marie Barbe. On y a inséré quelques images de l’agriculture intensive, ce qui crée un contraste. On joue beaucoup cela dans les villes, et pour des associations qui travaillent pour l’environnement, qui organisent souvent des débats ensuite.
Pascale Aymes y chante en français et en occitan; elle joue du galoubet (flûte provençale), du tambourin à cordes (appelé toun toun) et de l accordéon diatonique. Dans ces spectacles je joue du violon, de l’accordéon diatonique et des effets sonores . C’est un répertoire de musiques traditionnelles et compositions.

On a un autre spectacle “Sous ta fenêtre” qui parle des Serénades et des Réveillez (chants de quête de nuit qui se pratiquaient dans beaucoup de régions). La première partie, c’est une série d’images sur les sérénades sur lesquelles on joue. La deuxième partie est un film documentaire que Pascale a réalisé avec un cinéaste Thierry Michel. C’est un court métrage sur les Réveillez qui se pratiquaient dans les Hautes Alpes. Dans la vallée d’Orcières (05), ils ont filmé les dernières personnes qui ont vécu ces réveillez. Ces airs se chantaient en groupe, de montagne à montagne pour communiquer d’un versant à l’autre . Dans ces soirées, on joue les sérénades puis on projette le film. On joue également cela simplement en concert sans images, ce qui nous laisse plus de liberté d’improviser.

Q : Tu le fais aussi en solo, as-tu dit …

R : il y a deux ans, j’ai reçu une demande pour un ciné-concert solo et je suis parti sur Nanouk l’Esquimau, un des plus anciens films documentaires réalisé par R. Flaherty, un Canadien. J’ai été très sensible à cela car j’avais fait une tournée en Mongolie de trois semaines et vécu plusieurs jours dans une famille d’éleveurs de chevaux sous la yourte en pleine steppe. Du coup, je suis très sensible aux peuples premiers et ce film m’a interpellé . Cest une formule très souple et je le joue partout près de chez moi dans des petites structures et pour tous les publics enfants ou adultes. J’y ai aussi introduit d’autres instruments comme les flûtes harmoniques et les percussions.

Q : Que veut dire “Bombarou” ?

R : Bombarou signifie « baroufle, tapage » en occitan. Ce trio associe le clarinettiste Yvan Dendievel, le guitariste Ayato et moi, violoniste et accordéoniste. Il y a une bonne dose de bidouilles électroniques, on navigue en passant du trad’ à l’impro et à l’électro. De temps en temps après le concert, une danseuse contemporaine, Yasmina Zouiter, fait pratiquer au public quelques danses « in situ ».

Q : “In situ” convient aussi dans la description des promenades musicales …

R : Ce sont des déambulations, découvertes sensibles d’un espace naturel : on emmène le public à découvrir un lieu, un site, pour construire lentement une résonnance avec le lieu, inventer une musique qui dialoguerait subtilement avec lui. On en fait quelques unes dans l’année. On repère les lieux avant et on imagine un parcours. Le naturaliste commente la végétation, les arbres, la faune, les reliefs, etc. La comédienne lit des textes et nous jouons pendant les pauses de la marche du public.

Q : En plus de toutes ces activités, as-tu encore d’autres projets ?

R : Je travaille actuellement sur un projet de disque de collectage sur mes meilleures collectes de chant traditionnel. Je déposerai ensuite ces collectages au fonds portail du patrimoine oral pour les rendre disponibles à tous. Cela fait suite aux collectages du Grand Rouge qui a beaucoup travaillé sur les violoneux en Auvergne et en Corrèze (voir le portail violonpopulairemassifcentral.crmtl.fr/#Accueil).
Vers la fin de ces recherches, beaucoup de violoneux avaient disparu. J’ai donc commencé des recherches plus près de chez moi en Haute Ardèche où il y avait une forte tradition de chant, notamment chez les femmes. Donc je suis reparti là-dessus. Il y a déjà eu des publications, et là j’en prépare une dernière je pense, avec les meilleures chanteuses que j’ai pu entendre.

Q : Dernier sujet de cette interview : peux-tu décrire le prototype d’accordéon dont tu parles sur ton site web ?

R : Je joue de deux types d’accordéon. En spectacle, un modèle dit “mixte » : diatonique mais avec des basses main gauche qui sont des notes unisonores non composées. Cela existait déjà dans le monde de l’accordéon chromatique. J’ai longtemps cherché différents modèles de basses et on a eu l’idée avec Piery Giraud Héraud, qui était accordeur de Bertrand Gaillard, de construire un modèle original associant les deux. Voilà, cela me plaît bien, ça permet de faire main gauche des accords ou des contre-chants. Le système de basses main gauche est très logique et utilisable dans les deux sens du soufflet ce qui simplifie l’harmonie main gauche. Par la suite, Castagnari m’a fait le même type de modèle mais avec deux octaves de basses main gauche, soit 27 basses.

Mais j’apprécie toujours autant le modèle diatonique classique et ses basses traditionnelles qui ont une belle dynamique, et une bonne compression pour jouer des morceaux de danse notamment, difficile à retrouver avec l’autre modèle. Je relativise tout cela : il n’y a pas selon moi de système meilleur qu’un autre, l’important c’est l’expression qu’on a quel que soit le système. Chacun peut développer ses originalités. Je cite toujours à mes élèves les Cajuns et les Québécois qui jouent sur un modèle ayant une rangée main droite et deux basses main gauche !

Q : Enfin, la question que tous les accordéonistes attendent : chez qui fais-tu accorder et réparer tes accordéons ?

R : Sur la région de Lyon il y Vincent Bruyère, excellent réparateur – accordeur (www.laboiteanchantee-accordeons.com). Et Philippe Imbert (lacouleurdesnotes.fr/) sur Roanne pour les chromatiques, des gens viennent le voir du monde entier.

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En bref

Christian Oller rejoint le Grand Rouge après des concerts et bals avec le Claque Galoche, groupe issu du folk club La Chanterelle dans les années 1975 où il a démarré en autodidacte simultanément le violon et l’accordéon diatonique. Il a enregistré avec ce groupe deux disques chez Arfolk (Bretagne).

Les musiciens Pierre Imbert, Eric Montbel et Christian Oller ont formé Le Grand Rouge avec Olivier Durif puis ont enchaîné avec Lo Jai et le chanteur musicien occitan Guy Bertrand. L’aventure a duré 15 ans dans ces deux derniers groupes. Lo Jai s’est beaucoup produit pendant 5 ans pour 300 concerts et festivals aux USA et au Canada.

Sont disponibles en téléchargement sur Deezer et Spotify, et sous forme cd auprès de la firme de disques «Arion» (Paris) :
Mondeolino par Christian Oller (ARN 64474)
Funambules par Oller, Yvert et Sanlaville (ARN 64235)
CD Oller Yvert : compilation de deux disques vinyles « Noces de Julie » et « Entre deux » (ARB 64199)

18ème stage trad du 19 au 23 août à Pomeys, monts du Lyonnais, 69 France
Pascale Aymes : chanter avec son instrument
Jenny Demaret, Vanessa Virot : musique suédoise nyckelharpas et instruments à cordes
Christian Oller : musique d’ensemble accordéons diatos et tous instruments
+ concerts et bal
infos +33/6 17 63 46 68 www.christianoller.com

Le Claque Galoche

Si vous êtes intéressés par remonter le temps jusqu’au Claque Galoche, voyez le LP “folk traditionnel français” (Arfolk SB342) avec un extrait musical, et le LP “Bal folk auvergnat” (Arfolk SB348 enregistré en 1975 à Lorient) qui lui est en entier sur YouTube. Dans le LP suivant, simplement appelé Le Claque Galoche (Arfolk SB354, en 1976), Christian Oller ne figure plus.

Réédition de cd de Christian Oller (en solo ou avec Jean-Pierre Yvert) 

Oller – Yvert (Arion (ARB 64199)

Le cd contient la réédition de deux disques vinyles « Les Noces de Julie » (1983) et « Entre deux » (1987)

Ceux qui ont connu les débuts du duo d’accordéonistes ne devraient en principe pas s’étonner de l’atmosphère rentre-dedans, quasi révolutionnaire à cette époque. Et pourtant, ils avaient peut-être oublié le troisième morceau, une suite de bourrées percutantes avec une rythmique iconoclaste qu’on adore.

Cela reste d’actualité, et ce n’est pas pour rien qu’elle a été jouée aux JO d’Albertville en 92. Et le reste … Un “brouillard sur Ecullieu” en forme de rêve qui avance, la pureté de la superbe mélodie “Oh ma chère maîtresse”, le joyeux gazouillis des “Ailes de la grive”, la valse “Sous ta fenêtre” qu’il est impossible de s’empêcher de jouer, un “Va comme je te tire” (je tire, tu pousses ?) qui voit un thème trad émerger, plonger dans le chaudron bouillant et réapparaitre …

Après les 10 morceaux des Noces de Julie, place aux 9 autres du second LP, qui ouvre grand la porte à d’autres instruments et aux compositions. La suite “Malheureux qui” offre une recherche de sonorités impressionnantes, un peu comme (toutes proportions gardées) actuellement Denez et Fleuves, entre autres. Mais on trouve aussi une évocation de la musique renaissance avec Attaignant, où d’autres voix comme les claviers suivent leur propre chemin. Dans “Mutations”, le brouillard des Noces se dissipe, s’orientalise et subit joyeusement quelques transformations. “A deux mains” de Jean-Pierre Yvert (deux voix sans accords) préfigure l’accordéon “mixte” de Christian Oller. “A suivre” enfin, est un back to the future enrobé de vapeurs roses … (www.arion-music.com)

Oller & Co : Mondéolino (Arion ARN64474)

Paru en 1999 et réédité en 2008, cet album est à écouter, si vous en avez la possibiité, après le cd Oller-Yvert présenté ci-dessus. En effet, la continuité est évidente, même si Mondéolino est un spectacle plus qu’un simple concert.

Ajoutons que, même si on y trouve bourrées, sicilienne, valse vénézuélienne, ces mots ne signifient pas que l’ambiance inciterait à danser. Une mazurka sert ainsi de prétexte à une improvisation jazz, et les atmosphères se succèdent. “Un piacer”, à l’accordéon mixte solo, est tout un concert à deux mains. Impressionnante technique.

Entouré de cinq musiciens, dont un clarinettiste parfois éclatant, Christian Oller fait preuve d’une versatilité de plus en plus grande. Rappelons que le spectacle a été mis sur les planches de 1990 à 1995 (www.arion-music.com).

Marc Bauduin