1982. Le groupe NAM fait danser les étudiants sur la place des Sciences, à Louvain-la-Neuve. Beaucoup de cramignons liégeois, sortes de farandoles imaginées avec un brin de fantaisie par le groupe : on ne sait pas vraiment comment ça se danse de manière traditionnelle, mais en tout cas ça marche, grosse ambiance.

La même année, sur le campus de l’UCL à Woluwé-St-Lambert, Rue du Village anime un bal dans la salle des fêtes. Il explique comment danser toute une série de danses wallonnes, telles que les « trèhes » (les tresses) de Malmedy. Et ça marche aussi, chouette ambiance aussi.

1982, c’est aussi l’année de création du Canard Folk (qui répondait à un manque flagrant d’informations parmi les folkeux) et des rencontres du Crousse (qui répondaient à la quasi absence de rencontres folk durant l’année, en dehors des stages de Neufchâteau).

Bien sûr, on est encore à cette époque dans le folk revival. L’intérêt pour les musiques et danses traditionnelles wallonnes, véritablement lancé lors de l’exposition universelle de 1958 mais surtout après mai 68, se reflète dans les festivals de Champs et du Temps des Cerises organisés dans les années 70 par la RTB Namur (on se souvient au moins du nom de l’émission radio « Marie Clap Sabots », qui parcourait les villages à la recherche du folklore musical). Les Pêleteûs, les Zûnants Plankets, les Coulonneux, Lu Gaw, E Saquant Bèyaus, Rue du Village, Nam, les Macloteus, Jofroi, Julos Beaucarne, entre autres, se sont lancés à cette époque. L’époque d’un intérêt pour le terroir en général, d’une fierté d’être wallon. Les fascicules de Rose Thisse-Derouette et Jenny Falize, publiés à partir de 1962, fournissent alors l’essentiel des partitions musicales et des descriptions de danses wallonnes.

Dans les années 80, le folk wallon est essentiellement axé sur le bal, très peu sur les concerts. En Flandre, c’est l’inverse.

Aujourd’hui, alors que le nombre de groupes a explosé, la majorité des groupes wallons sont des groupes de concerts, alors qu’en Flandre les boombals ont un gros succès, notamment auprès des étudiants.

Dans la suite de cet article, nous examinerons successivement : comment ces groupes ont pu se former à la musique traditionnelle ; quelle est leur place dans les médias ; quelle est la situation des groupes de danse, …

Tout d’abord la formation. On compte aujourd’hui une centaine de groupes de musique, stables, à Bruxelles et en Wallonie. « Stables », car il existe bien sûr aussi des groupes de circonstance, qui se créent pour une occasion particulière sous un nom joyeusement farfelu et qui poursuivent parfois une existence aléatoire. Cent groupes, cela doit faire environ 300 à 400 musiciens, même si certains musiciens font partie de plusieurs groupes. Ajoutez à cela ceux qui jouent soit seuls soit dans des groupes non répertoriés, et on arrive à un nombre appréciable.

Qui incluons-nous dans ce comptage sommaire ? « C’est quoi, le folk ? » est la question classique sans réponse : le mot « folk » est vague, c’est à la fois un avantage (les frontières musicales ne sont pas étanches) et un inconvénient. Disons donc simplement que nous tenons compte de la musique populaire traditionnelle et de la musique d’inspiration traditionnelle, en la restreignant géographiquement à l’Europe pour de simples raisons de commodité. Ainsi, nous incluons des groupes wallons de rock celtique, mais pas les groupes de musique traditionnelle africaine établis en Belgique. Il n’y a là aucun jugement de valeur, bien sûr.

La formation, donc. On connaît l’Académie Internationale d’Eté de Wallonie à Neufchâteau qui, depuis 1970 et jusqu’au début des années 80, était le moyen quasi exclusif de se former de manière organisée. En 82 naissent les Rencontres mensuelles du Crousse (à Bruxelles) et les stages à Martué avec Marc Perrone, John Wright et Marie-Odile Chantran ; fin 83 apparaît Borzée dont le succès ne faiblit pas avec ses quatre stages par an, dont certains accueillent trois à quatre cents personnes. Des musiciens devenus chevronnés jouent le rôle de formateur, soit lors de ces stages soit lors d’ateliers mensuels ou de leçons privées … ou même, depuis 1989, dans quelques académies essentiellement suite à l’action de Jean-Pierre Van Hees (notons cependant que Louis Spagna, de Rue du Village, a enseigné à l’académie de Grez-Doiceau indépendemment de cette action). Des académies (Jodoigne, Eghezée) qui ont même donné naissance à quelques groupes.

Qu’y enseigne-t-on, et comment ? Le niveau des instructeurs, tant du point de vue pédagogique que de la connaissance des musiques traditionnelles, est variable. Transmettre la connaissance est un acte très sympa, mais qui se déroule dans un contexte très différent de la transmission orale de nos ancêtres. Veut-on conserver un caractère bon enfant à ces ateliers et stages au risque de voir se diluer ce qui reste des musiques traditionnelles, ou préfère-t-on s’organiser à la française, avec un diplôme d’enseignement de musique traditionnelle ? Vient se greffer là-dessus le peu de succès rencontré par les quelques passionnés qui ont tenté de mettre sur pied des stages spécifiquement consacrés à la musique wallonne. Bien qu’un nombre non négligeable de groupes aient du wallon à leur répertoire, ce sujet reste visiblement peu porteur dans l’ensemble. A cause sans doute de la recherche d’exotisme, de la facilité des airs standards qu’on se transmet (cercle vicieux) pour animer les « danses de bal folk » (puisqu’il y en a qui préfèrent se limiter à un petit nombre de danses supposées bien connues), à cause aussi de la complexité de certaines (pas toutes !) danses wallonnes : la maclote qu’on a rendue plus difficile que dans la tradition par juxtaposition de figures, l’amoureuse, la sabotière, …

On ne s’étonne donc pas que les quelques groupes qui apparaissent de temps en temps dans les médias ne songent pas au wallon. Urban Trad a certes permis au grand public de découvrir le folk et sa convivialité, mais dans un répertoire celtique et galicien. Didier Laloy qui prodigue son immense talent dans de nombreux groupes, ne pense apparemment pas au wallon – pourtant, même s’il torturait la « Vieille matelote » comme Jimi Hendrix l’a fait avec l’hymne américain, on apprécierait ! Sophie Cavez, qui a initialement acquis une certaine notoriété en le remplaçant dans Urban Trad, ne fait pas mieux de ce point de vue et nous concocte avec KV Express des airs à danser certes originaux mais apparemment dépourvus de racines wallonnes – c’est un choix qu’on respecte avec un brin de regret.

Alors, les médias ? Après la disparition du bimestriel « Une autre chanson », il n’en reste qu’un qui traite du folk de manière plus ou moins régulière : l’émission radio « Le Monde est un Village » de Didier Mélon sur la Première qui, chaque soir de semaine à partir de 19h, s’intéresse aux musiques du monde en voyageant dans « les tendances actuelles ». Les musiciens wallons y tiennent une part heureusement plus importante que celle de la Wallonie dans le monde, mais il faut être patient pour y entendre du traditionnel wallon. Par ailleurs, le Canard Folk profite de l’initiative de la jeune société belge Radionomy pour construire une webradio « TradCan » exclusivement folk, qui verra le jour d’ici la fin de l’année avec sans doute environ 1.500 morceaux; les groupes belges, en particulier wallons mais aussi flamands et mixtes, y auront une bonne place.

Côté organisateurs, il faut bien sûr signaler entre autres l’association Rif’zans l’Fièsse qui coopère avec le centre culturel d’Ans-Alleur près de Liège pour organiser concerts et bals ; les bals mensuels de la Cabane à Watermael-Boitsfort et ceux, appelés barnas, d’Eric Limet à Woluwé-St-Pierre ; la très active Muziekpublique à Bruxelles, et une série de rencontres annuelles telles que celle de cornemuse à Arc-Ainières, le festival de Marsinne, celui d’Anthines (tous les deux ans), etc.

Enfin, quelques mots à propos des groupes de danse. Il est déjà symptomatique de traiter de ce sujet séparément, alors qu’on imagine mal danser sans musique (ou sans chant) ! Excepté une petite dizaine de groupes qui se portent garants de la pureté du folklore dans la Fédération des Groupes Folkloriques Wallons, excepté aussi un petit nombre de groupes isolés, vous trouverez les groupes de danse (ainsi que quelques groupes de musique) dans la Fédération Wallonne des Groupements de Danses et de Musiques Populaires, communément appelée DaPo. Certains de ces danseurs ne voient dans ces danses israéliennes, anglo-saxonnes, est-européennes, wallonnes, … qu’un passe-temps sans s’intéresser à la musique folk, d’autres préparent conscieusement des spectacles de danse, certains s’intéressent à la musique tout comme des musiciens s’intéressent à la danse. Pour des raisons probablement historiques, la Dapo apparaît encore souvent comme un monde trop replié sur lui-même; on attend avec curiosité qu’une nouvelle génération s’empare des commandes et qu’elle souhaite vraiment fédérer danseurs et musiciens face aux autorités subsidiantes.

Voici donc brossé rapidement le portrait du folk en Wallonie, ce qui est bien sûr plus large que le folk wallon. Et c’est avec plaisir qu’on présenterait un portrait du folk flamand dans le Canard Folk !

Cordialement,

Marc Bauduin

(article écrit pour le trimestriel flamand Goe Vollek ! en juillet 2008)

(paru dans le Canard Folk de novembre 2007)