un aperçu … compilé par Pierre Depret avec l’aide de Robert Ayotte

 

Chapitre 2 : le diatonique outre-Atlantique

Les pitonneux.ses sur mélodéon à une rangée et 4 voix

Pour apprécier d’emblée la ‘touche québécoise des joueurs de diatonique’ de manière vivante et actuelle, je vous suggère d’ouvrir en ligne la ‘Gigue du plateau de Mont Royal’, jouée par Marie-Jeanne BROUSSEAU au diatonique une rangée et demi, (même la demi-rangée n’est pas utilisée) avec Timi TURMEL à l’accompagnement piano (tandem bien rare par chez nous) : un régal, jeu rapide, cadencé, subtil, métronomique mais plein de nuances, avec les ornementations là où il faut, pour un air qui paraît simple et qui pourtant est un des plus compliqués à jouer…
”composée par Jean-Claude Bélanger, écrite en Fa# mineur et La majeur pour l’accordéon diatonique, cette pièce constitue un défi de composition et d’exécution, mais c’est surtout son esthétique et son rythme soulevant qui en ont fait un succès auprès des gigueurs et des accordéonistes” Essayez un peu pour voir ! Bon d’accord, Marie-Jeanne avait 11 ans quand elle a commencé à jouer… et son accompagnateur a débuté l’accordéon à 5 ans : la relève est assurée. Le diatonique à une rangée a toujours eu la cote au Québec et la tient encore, probablement parce que beaucoup de pièces sont aussi jouables au ‘ruine-babines’ (comme nous disons ici : à la musique à bouche) qui était l’instrument des voyageurs, bûcherons et autres coureurs des bois : beaucoup de groupes (mais pas tous) l’intègrent avec bonheur dans leur instrumentarium : La Bottine Souriante (Yves Lambert), Les Frères Lemay, Vent du Nord (Réjean Brunet), De Temps Antan (Pierre-Luc Dupuis), Réveillons (David Berthiaume), Le Bruit court dans la Ville (Normand Miron), Les Crapaudes (Danielle Martineau)

Vous avez un 3 rangées, et vous voulez démontrer votre virtuosité au coup de soufflet : écoutez un autre favori du diatonique quebecois : le reel de la Pointe au Pic édité par les “Productions du Tiroir Québécois” par Gaston Nollet, pour confirmer que c’est aussi possible tout en gardant le style. Au départ, m’a confirmé Robert, c’était probablement une scottish qui a accéléré dans les virages pour devenir un reel.

Philippe Bruneau

La référence du mélodéon, c’est bien entendu Philippe BRUNEAU (1935-2011) qui est sans conteste le plus fameux et le plus connu des joueurs d’accordéon diatonique québécois et aussi compositeur prolifique : il a composé près de 134 airs de musique de style traditionnel (voir liste sur Wikipedia) ; c’est un peu l’équivalent de notre Toots national : « un musicien de grand talent, un accordéoniste de génie, un artiste d’une rigueur intellectuelle à toute épreuve, un guerrier pur de la culture »
La première fois que j’ai entendu Philippe BRUNEAU, en 1978, sur le 33 tours ‘Danses pour veillées canadiennes’ cela a été un choc, une révélation : c’était ça le diatonique comme je voulais en jouer ! A l’’époque, mon premier salaire est passé dans l’achat d’un Hohner une rangée en ré, 4 voix. Quantité de ses pièces sont désormais bien ancrées dans le répertoire de musique de style traditionnel et l’accès à l’ensemble de son oeuvre est aisé via ADAPI.CA (l’Alliance documentaire des associations en patrimoine immatériel, qui est un regroupement de nombreux centres de documentation voués au patrimoine immatériel : musique, danse, chanson, conte, savoir-faire,…)

un extrait de la très belle page d’ accueil de l’ADAPI :

Certaines de ces compositions destinées au concert, sont de véritables défis techniques pour l’accordéon diatonique. En ligne vous trouvez de nombreux enregistrements, comme ce French Canadian Reel avec duo diatonique-gigue d’enfer.

Philippe Bruneau

Bruneau avait l’habitude d’intituler ses compositions ‘Hommage à … ‘ dédiées à ses amis musiciens et autres. La Grande Rencontre, festival montréalais de musique traditionnelle, proposa en 1997 un retour d’ascenseur avec un “Hommage à Philippe Bruneau”, mais celui-ci, déjà installé en France (à Forcalquier dans le département des Alpes-de-Haute-Provence) depuis plusieurs années, n’a pu être présent.

L’événement mit donc en valeur plusieurs jeunes accordéonistes dont Susie LEMAY, alors âgée de 22 ans, qui y présenta des pièces de Philippe Bruneau qu’on peut qualifier de morceaux de bravoure. Depuis, Susie a quitté ses mimiques (d’autres accordéonistes en font aussi) mais gardé son sourire inspiré et a repris la relève; elle est devenue une des meilleures pitonneuses du répertoire québécois (écoutez bien ses notes redoublées sur le même bouton ; elle joue souvent en duo avec Denis PEPIN : allez les écouter dans les enregistrements Esprit d’Souches, par exemple le Medley des deux Jack (accordéon à 2 rangées, bien entendu)

Peut-être certains d’entre vous ont eu la chance d’entendre Philippe BRUNEAU à St Chartier en 1990 ou en 2005, lors du concert Carte Blanche à Philippe Bruneau. A cette occasion, il s’exprimait ainsi “Je ne crois pas aux droits d’auteur, parce que ça tue la musique”. D’accord ou pas ?

Philippe Bruneau

L’ethnomusicologue Carmelle BEGIN, conservatrice en chef du Musée Canadien des Civilisations, qui a compilé un très intéressant recueil de ses oeuvres* (avec toutes les partitions d’une précision redoutable jusque dans les fioritures) (* : je l’ai à votre disposition si vous souhaitez)), a proposé cette formule “Philippe BRUNEAU est un objecteur de conscience musicale’; entre autres, il a refusé le Prix Gérard-Morisset que lui a décerné le gouvernement du Québec (accompagné d’une bourse d’une valeur de 30 000 $) pour protester du manque de soutien de la part du gouvernement envers les arts traditionnels. Ce Prix est la plus haute distinction accordée par le Québec dans le domaine du patrimoine. En feriez-vous autant ?
bruneau.mnemo.qc.ca/bruneau4.html

Mon trio d’airs préférés de Bruneau : sans aucun doute le reel du 24 juin ! Et pi aussi : le reel Alouette, suivi par la gigue à Ti-Mé; et aussi la gigue du diamant bleu.

Carmen Guérard

Dans la mouvance nationaliste des années 70, Carmen Guérard décide de reprendre l’accordéon de son père qui, en plus, jouait fort bien de l’harmonica. Carmen effectua plusieurs tournées en Europe. Elle joua également aux États-Unis dans quelques festivals et camps musicaux où elle donna également des ateliers. Impliquée dans la SPDTQ (*), elle a contribué à l’organisation de multiples événements dont La Grande Rencontre, les Stages Danse-Neige et les Veillées du Plateau en plus d’enseigner à l’École des arts de la veillée. espacetrad.org/2010/06/21/carm

SI VOUS ALLEZ A MONTMAGNY

Montmagny, situé sur le bord du St Laurent et de la Rivière du Sud, organise chaque année depuis plus de 0 ans le carrefour mondial de l’accordéon et est devenu un incontournable de l’accordéon diatonique et chromatique.

Au centre ville, le Musée de l’accordéon de Montagny gère une collection de 130 instruments de musique qui comporte 113 pièces en dépôt permanent. De plus, au fil des ans, il a rassemblé quelque 800 photographies et plus de 1500 enregistrements sonores sur le thème de l’accordéon, constituant un centre d’archives et de référence sans égal au Québec.

Si vous aviez été au Carrefour Mondial de l’Accordeon à Montmagny en 2019, vous auriez pu aussi écouter les champions actuels, la crème des pitonneux : Denis COTE, Eric GAGNE, Serge CARRIER, Keven DESROSIERS, Elisabeth NICOL, Patric NOLET, Gaston NOLET, Alexandre PATRY, Francine DESJARDINS, Antoine MALLETTE, Gino LAVOIE, Denis PEPIN, Alexandre CARON, Sébastien CLERMONT, Mathieu BAILLARGEON, en particulier Jacques SABIN qui sait faire swinguer grave les airs québécois sur son diatonique 4 rangées. Tous ces artistes sont à retrouver sur You Tube.

Et savez-vous que le fameux duo BORNAUW-MACKE (cornemuse -accordéon), très apprécié ici, est invité et sera présent au Carrefour 2021 à Montmagny (voir leur belle bande annonce sur le programme du festival) : pourquoi n’iriez-vous pas les encourager sur place ?

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Les Cruwaus en 1978 au Mont Falise (Huy)

Le Canard Folk : Pierre, comment as-tu été inoculé à la musique traditionnelle québécoise ?

En 1978, avec le groupe Les Cruwaus nous avions postulé pour participer aux échanges Wallonie-Québec, et nous avons été sélectionnés… et nous sommes partis à 6 avec nos instruments et nos sacs à dos : depuis, cette musique n’a jamais cessé de m’inspirer.

En retour, en 1979 le groupe de danse folklorique Les Katrevents qui nous avait accueillis est venu en séjour pour 3 semaines en Belgique ; ils ont dansé notamment une soirée à Neufchâteau à ce qui ne s’appelait pas encore l’AK d’été.

Et les violoneux dans tout ça ?!? On en parle au prochain
épisode, promis !

P. (à suivre)

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NDLR : les expressions qui sont soulignées dans l’article ci-dessus correspondent à des hyperliens. Comme l’adresse de ces liens est souvent indigeste, le site web du Canard Folk vous les propose sous forme “cliquable” dans un squelette des articles sur le Québec. A terme, à une date encore indéterminée, le site web contiendra les articles complets avec les hyperliens, les illustrations en couleurs ainsi qu’une annexe “bonus”. Si vous êtes pressés de connaître l’adresse de tel ou tel lien et que vous êtes abonnés au Canard Folk, envoyez votre demande par mail à info@canardfolk.be.

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(*) voir l’explication ci dessous.

Québec : la SPDTQ

SPDTQ est l’ancien nom pour Société pour la promotion de la danse traditionnelle québécoise (SPDTQ)
voir espacetrad.org/

C’est en quelque sorte un peu comme une sorte de mélange entre Muziek Publique, les stages de Borzée et le festival Gooikoorts.

• L’activité fondatrice de la Société fut Les Veillées du Plateau, le troisième samedi de chaque mois, deseptembre à avril.
• En 1986, naissait le premier camp de formation Danse-Neige, qui, lui aussi, prenait le relais des grands stages de danse et de musique disparus au début des années quatre-vingt.
• Le festival La Grande Rencontre s’ajoutera aux activités de la Société en 1993, et deviendra LE festival de musique et de danse traditionnelles québécoises à Montréal. L’événement propose des dizaines d’artistes traditionnels à chaque année sur quatre jours de célébration du patrimoine vivant.
• Depuis l’hiver 1998, la SPDTQ a mis sur pied l’École des arts de la veillée, ajoutant ainsi une autre pierre à cet édifice entièrement voué à la diffusion de notre
culture traditionnelle.
• La SPDTQ devient en 2010 EspaceTrad et est instigatrice d’autres activités : La Fête Nationale à chaque année, Les Vendredis TRadlib, soirées hebdomadaires de pratique amateur en musique et en chanson, des concerts-maison, des sessions de musique et animations publiques. Elle offre aussi un service d’animation pour tout groupe, association ou compagnie qui souhaite organiser un événement ou une fête sous le signe de la bonne humeur, en dansant.

Pierre Depret