
Son site web est intitulé : Rémi Decker – Soucieux de la tradition, fou de création
En 2014, il nous avait accordé une belle interview au moment de la sortie du cd « Yaroré » de son trio, et peu après la sortie d’un album remarqué avec Marc Malempré.
Nous avons voulu nous baser sur cette interview et parler de l’évolution de l’artiste.
Marc Bauduin
Résumé de l’interview de 2014
Wallonie et Flandre
On a joué cet été à l’AKDT à Neufchâteau et des gens sont venus nous dire qu’ils étaient tombés amoureux de la chanson flamande grâce à nous ! Je dis : génial !
Je pense que la musique wallonne a besoin d’un courant d’air créatif: il faut en faire quelque chose, en commençant par le tri gnangnan/perle.
Cornemuse
Je suis né dans une famille où la musique et la danse étaient pain quotidien. J’ai découvert la cornemuse grâce à Walter Lenders et le groupe Trivelin (qui a en quelque sorte marié mes parents;-)). A 10 ans, j’ai fait mon premier stage de cornemuse à Borzée auprès de Bernard Laffineur… La suite est très autodidacte avec par-ci par-là un stage.
En 1999, j’ai participé à mon premier « Flanders Ethno ». En tant que petit gaumais jouant de la cornemuse, je me sentais un peu comme un habitant de mars sur la lune … Et tout d’un coup, je me retrouve avec une centaine de jeunes musiciens « folk » venant des 4 coins du monde, mais aussi de Belgique ! J’y rencontrerai les partenaires des mes premiers projets : Maarten Decombel (Griff, Decker-Decombel), Birgit Bornauw (Griff, BBGE…), Pierre-Yves Berhin (‘kVoel me Belg), Pieter Lenaerts (Griff, R.DeckerTrio) et plein d’autres ! Pour la guitare, c’est une autre affaire …
Guitare et chant
Mon père est guitariste. J’ai toujours entendu de la guitare à la maison.
Françoise Lempereur m’a permis de mettre mon nez dans les archives sonores de la RTBF à Liège. J’y ai découvert un répertoire chanté dont j’ignorais l’existence. Lu Gaw (dont faisait partie Marc Malempré) m’a beaucoup séduit avec des chants comme « Je suis Soule de mon Homme », « J’a m’tabeur », « Dè pan dè bourre et dè stofè »… (que nous avons repris en duo…). En voulant féliciter Marc Malempré pour ces perles, il m’a proposé de se voir… Ce jour-là, d’instinct, j’ai pris ma guitare … Pour être honnête, je n’ai jamais appris à jouer de cet instrument, mais j’en tire beaucoup de plaisir !
Interview 2025
Wallonie et Flandre
As-tu toujours autant d’échanges avec des musiciens flamands ? Est-ce que Flandre et Wallonie se connaissent de moins en moins ?
Je suis en effet en contact avec les 2 scènes. Les musiciens sont par définition des nomades culturels, mais il n’est pas simple de promouvoir ses projets des 2 côtés de la frontière de par les canaux de diffusions et les aides financières qui diffèrent dans les régions.
Outre la frontière linguistique et culturelle, il n’y a jamais eu de réelle frontière « physique » (montagne, cours d’eau, désert…) pour séparer les 2 régions et en ce qui concerne la musique traditionnelle, je ne ressens pas de grandes différences entre les différents répertoires du nord et du sud de notre pays.
Il y a des choses formidables dans le folk autant en Wallonie qu’en Flandre, et j’espère que ces festivals, clubs, associations, académies et conservatoires qui promeuvent le folk continuent à la faire sans étendard et de manière ouverte au monde. Car c’est un enjeu de taille face aux tendances politiques actuelles.
Cornemuse
De quel type de cornemuse joues-tu ? Cela t’arrive-t-il d’avoir envie de jouer d’un autre type (gaita, uilleann pipes, smallpipes, boha …) et pourquoi (qu’imaginerais-tu faire) ?
Les raisons pour lesquelles je joue de ces différentes cornemuses sont diverses: le son, le répertoire ou ses possibilités (tonalités, gammes…). Mais chacune de ces raisons entraine les autres avec elles : la cornemuse, de par ses limites, a la particularité d’être très liée au répertoire de son terroir. Jouer d’un type de cornemuse amène à entrer en contact avec le répertoire de son terroir, et ses particularités techniques (ornementations, phrasé…)
Jouer dans une banda ?
Il m’arrive d’aller donner un coup de main à Contrabanda (banda galicienne de Bruxelles), c’est chouette aussi!
Donnes-tu cours de cornemuse ? Dans une académie ? Que penses-tu des cours en académie ?
J’ai donné beaucoup de cours dans le passé, mais dans l’instant présent, je ne donne cours que dans le cadre de stages et un peu de cours en ligne (mais la demande a fortement diminué).
Je me suis formé sur le tas, de manière relativement autodidacte. Ce n’était pas réellement un choix: il n’y avait que les stages pour se former à la cornemuse il y a 30 ans. Mes parents étaient actifs dans un groupe de danse wallonne qui était accompagné par des musiciens. J’étais toujours plus attiré par la musique que par la danse.
Je pense que j’ai découvert la cornemuse par le groupe Trivelin (et donc Walter Lenders). Puis mes parents ont commencé à aller aux stages de musique et danse de Borzée où j’ai encore vu et entendu de la cornemuse. A l’âge de 10 ans, j’ai fait mon premier stage à Borzée, avec une cornemuse qu’on m’avait prêtée. C’était Bernard Laffineur qui animait le stage.
Cette manière d’apprendre l’instrument, ou plutôt de le « découvrir » m’a toujours convenu: s’amuser avec son instrument, chercher comment jouer ce qu’on voudrait entendre et de temps à autre un petit stage pour faire le plein de conseils et repartir à la découverte…
Du coup, on est loin du système académique ! Et ma pédagogie quand j’enseigne est basée sur l’apprentissage par mimétisme et explorations et plaisir ! Mais les académies font du bon travail aussi. Elles permettent une accessibilité et une visibilité de la musique traditionnelle en la portant au même niveau que la musique classique ou le jazz.
Le challenge pour le système « académique » me semble de ne pas perdre de vue la spécificité de notre musique : des airs relativement simples, structurés par des danses et qui doivent pouvoir être joués et répétés sans lasser (ce qui demande une liberté par rapport à la partition)…
Je suis positivement curieux de ce que va donner cette nouvelle branche de musique de tradition orale à l’IMEP (www.imep.be/news/creation-dun-pole-musiques-de-transmission-orale-et-instruments-patrimoniaux-a-limep/).
Guitare et chant
Mon père est guitariste et j’ai entendu de la guitare toute mon enfance. Quand j’ai pris une guitare en main, je savais très bien ce qui pouvait en sortir et ce que je voulais qu’il en sorte.
C’est avec Marc Malempré et l’album « Codillie 2013 » que je me suis vraiment mis à la guitare. Marc m’a fait découvrir un répertoire chanté de chez nous qui m’a directement plu. Un répertoire qu’il avait déjà travaillé avec Lu Gaw et dans notre travail la guitare s’est imposée très vite.
De cette collaboration est né mon amour pour les textes et le chant traditionnel. Ces petites textes remplis de doubles sens et de symboles sont des madeleines de Proust !
Dans Griff, le chant a évolué de manière assez spontanée de Raphaël seul à des choses plus polyphoniques. Notre musique ayant un aspect narratif dans ses arrangements, on s’est mis à chanter sans s’en apercevoir :).
Arranger des chansons, remanier des textes, recomposer des musiques pour des textes… c’est un de mes dadas ! Tout est possible quand on met un texte en musique !
Dans la même lignée, j’ai fait en 2023 un chouette projet avec Hans Jochems (chant, cistre), Philip Masure (guitare, chant) et moi-même aux flûtes, cornemuses et chant : Trio Marodeur (www.triomarodeur.be/) qui aborde les chansons collectées dans la région De Merode, des chansons en flamand donc. Même si je suis devenu presque parfait bilingue, ce n’était pas simple de travailler avec des textes en flamand car ça demande une sensibilité qu’on a que dans sa langue maternelle je pense.
Dit en passant : on travaille avec Marc Malempré à un « Codicille 2025 » (enfin, probablement 2026…).
Théâtre
En 2018, je me suis mis à faire des ciné-concerts, ce qui m’a amené à faire des spectacles pour jeune public.
Pour ces spectacles jeune public, je suis le plus souvent seul sur scène et je travaille essentiellement avec des films d’animations modernes. J’accompagne ces films en mêlant musique et bruitage. Ce sont des spectacles que je joue énormément et qui me permettent de bien vivre de ma musique.
Je tourne pour l’instant avec Zigoto (www.zonzocompagnie.be/en/node/191), 2 z’Yeux 2 z’Oreilles pour les maternelles (www.youtube.com/watch?v=5Th9mCI3FE8) et Orchestrascope (www.zonzocompagnie.be/en/production/orchestrascope) qui est un projet qui m’a permis de jouer avec de grands orchestres (dont le Belgian National Orchestra) en Belgique, au Brésil, en Autriche, au Portugal…

J’ai créé aussi il y a quelques années avec le chanteur Lennaert Maes un spectacle bilingue qui me tient particulièrement à coeur: « Qui es-tu? Wie ben jij? » (www.superwesp.be/wie-ben-jij-qui-es-tu) . C’est du théâtre musical absurde dans lequel chacun parle sa langue (français et néerlandais) et essaie de se (faire) comprendre. Il s’adresse également aux enfants (à partir de 6 ans).
Je me penche sur un nouveau spectacle pour les tout petits d’ici peu.
Vivre de sa musique en Belgique
Tes idées, ton expérience …
Pour l’instant, comme je l’ai déjà mentionné plus haut, je vis surtout des spectacles jeune public. La Belgique est un petit paradis pour les musiciens : au carrefour de l’Europe, il y a énormément de musiciens d’horizons différents et la distance entre les villes est telle qu’il y a beaucoup d’opportunités de jouer sur un petit territoire. L’envers de la médaille est que l’identité belge (en musique traditionnelle) n’est vraiment pas très vendeuse à l’étranger, donc pas toujours simple de sortir de nos frontières. Nos influences sont trop bigarrées et du coup trop peu identitaires… Mais je m’en accommode.
Danse
Joues-tu aussi pour des bals ?
De nouveau, je n’ai jamais appris à danser, mais à force de voir mes parents le faire dans leur groupe folklorique, le jour où on m’a demandé de danser, je savais le faire !
La musique traditionnelle est une musique intrinsèquement liée à la danse. Étrangement, j’ai toujours joué plus de concerts que de bals. C’est surtout dû au fait que jouer pour le danseur est un exercice très codifié et qui ne laisse pas la même liberté qu’un concert. La danse structure la musique: tempo et nombres de mesures sont primordiaux! Du coup je me sens parfois limité. Comme si je ne pouvais pas utiliser tous les mots du dictionnaire pour écrire mon histoire…
Mais j’ai toujours fait un peu de bal. Jouer pour des danseurs reste un exercice très grisant. Cette année, on s’est décidé à faire du bal avec Griff Trio. Un bal un peu particulier dans le paysage actuel car nous sommes 3 chanteurs-mélodistes sans section rythmique. C’est très intéressant de chercher comment inviter à la danse par la mélodie. Nous avons fait quelques essais ce printemps et c’est assez concluant. Vive la suite !
L’année dernière nous avons fêté avec Griff Trio nos 20 ans d’existence en invitant sur scène le trio vocal polonais SUTARI au Merode Festival. Sutari a une démarche assez similaire à Griff: 3 voix (féminines) accompagnées par quelques cordes frottées. Leur musique est sublime. C’est la musique que j’écoute souvent en voiture tard le soir. La rencontre a été très forte. On n’aurait pas pu penser mieux comme anniversaire !
Griff a aussi collaboré avec M’sieur 13 (slam) en adaptant un de ses textes à notre sauce www.youtube.com/watch?v=ls0GThmLzw8
Je joue aussi sporadiquement avec la chanteuse italienne Morena Brindisi.
Je n’ai pour le reste pas le temps (même si bien l’envie) de développer des projets internationaux.
Musique électronique …
Et, plus généralement, d’autres genres musicaux (jazz, funk, .…) : serait-ce intégrable dans ta musique sans la dénaturer ? En as-tu envie ?
Je suis ouvert à tous les styles, mais la difficulté en se mélangeant avec d’autres genres est de trouver la bonne balance pour que l’un ne domine pas l’autre. Cela demande d’étudier un minium le style de l’autre et de prendre le temps de développer un langage commun. Et naturellement de trouver les bonnes personnes avec qui le faire !
On a enregistré avec Griff un morceau à la sauce électronique au EvilTwinStudio : youtu.be/fQ5UNxBzAqY qui n’est pas trop mal réussi je trouve.
Je joue naturellement avec les Krakin’Kellys (krakinkellys.com/) qui se produisent sur des scènes plus punk/rock. C’est une musique beaucoup plus brute axée vers un public qui veut faire la fête.
Projets
Quels projets as-tu actuellement en tête ?
On va lancer Griff Trio Bal après l’été, je cogite sur un nouveau spectacle audio-visuel pour les tout petits et on travaille avec Marc Malempré à un Codicille 2025/6… !
Ah oui, Pierre-Yves Berhin (avec qui on avait monté ‘k Voel me Belg) vient aussi de me demander de participer à son projet personnel autour de l’accordéon : Norwest.
Je ne suis pas le genre à tout planifier des années à l’avance, et je travaille aux coups de tête et de cœurs donc qui sait ce que je ferai demain 😉
Contact : Rémi Decker +32 473563008 deckodeck@gmail.com www.remi-decker.be