L’album de Rakoczy, l’un de nos “cd du mois” en octobre dernier, était sorti sur Talking Cat Recordings, dont nous avons rencontré le patron sur Facebook et sur Messenger dont il est un utilisateur assidu. Jon (diminutif de Jonathan) Loomes, cheveux drus et roux, l’air jovial et dynamique, une vielle à roue en mains, était destiné à être interviewé. Il l’ a fait de bon coeur, ajoutant des traits d’humour dans ses réponses. Surtout, ce musicien (membre de Pilgrims’ Way), luthier, folkloriste et propriétaire de studio, malgré ses nombreuses occupations a pris le temps de réfléchir avant de formuler ses réponses. Découvrez donc ce personnage attachant aux multiples facettes.

Interview par Marc Bauduin via Messenger en octobre et novembre 2020.

Q : Après une formation en musique classique et une longue expérience de chant avec le National Youth Choir, vous avez décidé de travailler pour des firmes multimédia et aussi d’apprendre à construire des violons. Quelles étaient les raisons de cette décision ? Aviez-vous déjà un peu d’expérience dans ces nouveaux domaines ?

R : J’ai étudié la musique au Goldsmiths’ College London, après quoi j’ai cherché du travail, pour finalement en trouver à Cambridge dans une firme de traduction multimédia, où j’ai produit principalement de l’audio en langues européennes pour une large gamme de produits, Robbie Konijn était un de mes amis que des lecteurs connaissent peut-être. J’ai rapidement appris à parler convenablement néerlandais, although I still flinch every time I see a rabbit (1). J’ai joué avec de la technologie musicale depuis ma jeunesse. Je pense que j’ai commencé à chipoter avec des enregistreurs à bande 4 pistes et avec le système Midi vers l’âge de 13 ans. J’ai toujours voulu travailler dans un studio d’enregistrement, donc quand ce job s’est présenté j’ai quitté Londres. Pourtant j’ai encore la nostalgie de la capitale, bien que Cambridge ne soit pas une ville désagréable.

J’ai commencé le violon assez tard, à l’âge de 19 ans, grâce à une fantastique session folk à Greenwich quand j’étais étudiant. J’ai commencé par démonter des violons et les recoller, à la fois par curiosité et parce que je n’avais pas d’argent ! Cambridge est le siège d’une gilde de fabricants de violons et j’ai fini par y construire mon premier violon. Ce fut un lent processus, mais il a abouti à un bon violon. Je l’ai toujours, mas il a besoin d’un réajustement du manche. Il semble que je répare les instruments de tout le monde sauf les miens !

Q : Même question, mais à propos de la décision de devenir guitariste professionnel. Comment avez-vous appris la guitare, dans quel genre musical ?

R : Pendant 4 ans, j’ai travaillé intensément en studio sur du multimedia – nous avons fait The Mummy, Lilo and Stich, Worms World Party et des logiciels éducatifs et utiland no end of educational and utility software. J’aimais cette firme, et je m’y suis fait quelques bons amis, mais je savais que je voulais essayer d’être musicien plein temps. J’ai rencontré, purement par chance, un agent qui a cru en moi, et très vite il m’a fourni beaucoup de travail. Grâce à cela j’ai fait le saut et je suis devenu musicien professionnel indépendant, tout en construisant mon propre studio. A cette époque, je me considérais principalement comme un guitariste dans la tradition de Martin Carthy et Nic Jones (ah, l’arrogance de la jeunesse !) Je chantais des traditionnels anglais et jouais de la guitare dans des accordages exotiques, mais je jouais aussi un peu de violon, de vielle à roue, d’accordéon diatonique, du concertina English, de la cornemuse et du cistre – je jouais à un tas d’événements médiévaux, notamment avec feu Phil Martin. Nous étions de bons amis. Il m’a appris une montagne de choses à propos de la vielle, et du business musical en général. Il me manque. Mon premier (et unique jusqu’à présent) album solo est sorti sur Fellside Records et j’ai eu mes 15 minutes de gloire, ce fut une étrange expérience ! Il est probablement grand temps d’en faire un autre, mais il semble constamment y avoir une dizaine de travaux qui prennent la priorité.

 Q : Pourriez-vous expliquer pourquoi l’enregistrement de musique acoustique est difficile ? Certains instruments folk (la cornemuse ?) sont-ils plus difficiles à enregistrer, et pourquoi ?

R : Bonne question. Je pense que les instruments acoustiques pardonnent moins. Un instrument comme une guitare ou une basse électrique offre beacoup plus de versatilité dans ce qu’on peut faire de leur son, On peut couvrir un enregistrement imparfait en utilisant soigneusement l’égalisation et la compression, mais avec un instrument acoustique c’est beaucoup plus nuancé. Il est très important d’avoir de bons micros et de bons préamplis, et de comprendre les interactions. Un local calme qui sonne bien est aussi essentiel. J’ai acheté ma maison actuelle en me basant largement sur l’acoustique de la cave, malgré qu’il me fallait dépenser 1.000 £ pour y mettre un plancher en bois. Le bâtiment, âgé de 200 ans, était jadis la demeure du forgeron du village. Il y avait encore des traces du feu des anciennes forges sur les murs, et nous avons dû condamner un puits de 30 pieds de profondeur ! Mais au final nous avons une très agréable pièce avec des murs en pierre et un plancher en bois – j’ai bien quelques panneaux absorbants sur le mur pour diminuer la réverbération. C’est un espace avec un son clair et vif.

Certains instruments folk peuvent poser des problèmes à l’enregistrement. Ainsi, il est compliqué d’obtenir un bon son du bourdon d’une cornemuse car une grosse partie du son provient d’un même endroit sous forme d’air comprimé : clipser sur le pavillon peut être utile dans de tels cas – je bouge ma tête dans toutes sortes de positions pour essayer de comprendre exactement ce que les micros vont entendre. Je recommande à quiconque est intéressé par l’enregistrement en acoustique de lire « Tonmeister Technology » de Michael Dickreiter. Et ensuite d’épargner, car le reste de sa vie il sera à la chasse aux microphones rares !

Q : Vous jouez aussi de l’English concertina. Pouvez-vous nous rappeler les différences avec les autres types de concertinas ? Est-il utilisé principalement dans certains répertoires ?

R : Eh bien, on m’a connu jouer également de l’Anglo, mais brièvement, Le système English est complètement chromatique, la même note dans les deux sens; les notes sur les lignes d’une partition musicale sont d’un côté, et les notes entre les lignes de l’autre. Il a été inventé dans les années 1830 par Sir Charles Wheatstone comme une alternative au violon, donc la majorité des instruments ont exactement ce même ambitus. Le système Anglo German est diatonique sur deux rangs avec des altérations sur le troisième rang. Le tout est bisonore, donc le tiré et le poussé produisent différentes notes, Il est fort proche de l’accordéon diatonique et offre plus de dynamique à cause de la nécessité de changer de direction pour jouer des gammes. Ensuite il existe des systèmes duos : le “Maccan” Duet est en gros deux concertinas English ouverts et mis à plat (2), les notes graves à gauche et les aigües à droite avec environ une octave qui se trouve des deux côtés. Le Crane ou «Triumph » Duet était populaire à l’Armée du Salut; il est basé sur un modèle de répétition du doigté tous les 3 boutons, mais beaucoup moins utilisé que les Maccans. Il y a aussi le système extraordinairement rare Hayden Duet qui est basé sur des gammes entières avec un écart d’une quarte entre deux rangées.

Q : Quels instruments fabriquez-vous ?

R : Je construis des guitares de différentes formes et tailles, des “small parlours” jusqu’aux “Big OM”. Je fabrique aussi des bouzoukis, des mandoles (octave et ténor), des mandolines, des guitares ténors, des cistres, et des choses bizarres sur mesure, des mandolines à 4 cordes, des guitares baroques. J’ai appris d’un autre cher ami, Colin Kendall de Bury, Manchester – il est un luthier (et tout ce qui tourne autour) incroyable. Il est aussi le sosie tout craché de Karl Marx ! Ma guitare favorite est de lui, Je dis toujours qu’il faudra m’enterrer avec elle. Je construis aussi en ce moment un prototype de vielle à roue avec mon ami Rory Scammell, qui est lui-même un vielleux de première classe ainsi qu’un talentueux artisan – j’ai fait du rangement dans l’atelier et nous venons d’acheter un grand tour industriel.

Q : Vous êtes aussi “folkloriste” : qu’entendez-vous par là ? Faire des recherches, lire de vieux manuscrits, collecter des chansons … ?

R : Oui, je pense que je peux prétendre cela. J’ai étudié l’ethnomusicologie des années avant qu’elle devienne à la mode, Je fais beaucoup de recherches pour assembler de nouvelles versions d’anciennes chansons – bien qu’en fait, je considère le folk comme un répertoire plutôt que nécessairement un genre en soi. Bien sûr nous disposons d’un riche lexique stylistique – mais, oui, j’ai une grosse collection de livres poussiéreux, d’anciens vinyles, de bandes magnétiques et de cd d’archives de chanteurs “sources”. Tout depuis Joseph Taylor et Harry Cox jusqu’à Alfred Mouret et Gaston Rivière. En termes de collectage, j’ai quelques trucs de ma grand mère, une Cockney de Londres qui savait repérer les bons airs. Elle avait des chansons de son père, son grand père, son « Oncle Cacao » (un « gentleman de la route » comme elle l’appelait en un euphémisme), de vieux 78 tours, mais aussi des fragments d’une radio moderne, tous focalisés sous la loupe de son esprit unique. Nous avons d’elle une version de « Cadgwith Anthem » qui, j’en suis sûr, n’a jamais été chantée en Cornouaille.

Q : Un mot à propos de votre situation actuelle (comme musicien, luthier et studio d’enregistrement) suite au virus ? Le calme plat, ou avez-vous aussi des activités online?

R : Eh bien, le Corona a été une extraordinaire expérience pour nous tous. Je connais des gens qui l’ont eu, certains ont survécu. Il a décimé l’industrie musicale de notre pays, notre gouvernement a pris très peu de dispositions bien que la première chose que notre premier ministre M. Johnson ait faite, fut de nier ma citoyenneté européenne. Je ne fais pas vraiment confiance à son jugement, pour le dire poliment.

Donc oui, j’ai un tas d’amis qui ont été salement touchés. J’ai réduit les coûts du studio pour essayer que ce soit plus accessible, mais cela me choque que la barrière empêchant d’enregistrer soit financière alors qu’elle devrait être basée sur la créativité.

Mais je pense qu’il y a de l’espoir, j’ai eu deux commandes d’instruments et il semble y avoir toujours quelque chose à faire dans le studio. Pendant cette période calme, je me suis concentré sur les aspects business d’une évolution vers un label complet, et aussi sur l’amélioration de ma publicité. Je n’ai jamais été capable de me vendre [ndlr : littéralement “de souffler dans ma propre trompette”], mais il apparaît que je fais très bien la pub de mes artistes !

Q : Finalement, puisque Pilgrims’ Way se dit un “folk music group”, quelle est votre définition de la musique folk et comment la compareriez-vous avec d’autres appellations comme : musique traditionnelle, roots music, … ?

R : Oh! c’est dur ! – “I ain’t heard no horse singing it” etc. Hmmm. (3)

Personnellement, je pense qu’en “folk” il s’agit de création collective. Donc d’après ma définition, Bob Dylan est un songwriter (que j’aime beaucoup) plutôt qu’un artiste folk – mais ainsi je viens d’une perspective “traditionnelle”. Peut-être est-ce incorrect? Peut-être est-ce de la musique qui traite d’expériences humaines communes, de sorte que les chansons de travail, de protestation, … composées pourraient être “Folk” car elles sont des chansons “du peuple”, juste avec une métrique différente. Je suppose que c’est toute la question de la position ontologique – j’essaie de garder un esprit grand ouvert, et à coup sûr la matière qui forme le mix d’un album de Pilgrims’ Way est très variée, nous avons un large spectre de saveurs : folk rock des années 70, rock ‘n’ roll des années 50, punk, gothique, musique ancienne, funk, soul, rock classique, choeurs et orchestres contemporains, fanfares, quartets de cordes, indie des années 90 et pop. Faire partie d’un tel groupe est fun, mais c’est parfois un incroyable challenge d’en assembler tous les morceaux


(1) Robbie Konijn (Robbie le lapin) était une série éducative dont le personnage principal, un lapin, était particulièrement énervant. “Imaginez un Bugs Bunny sans charme, sans humour” – “Impossible d’imaginer ça !” “C’est pourtant exactement ça. Ou une meringue sans sucre …” La vue d’un lapin provoque encore chez Jon une réaction de répulsion, dit-il !

(2) Jon a écrit que les deux concertinas ouverts étaient “flattened out like a spatchcock chicken”. C’est quoi un spatchcock chicken ? Un poulet aplati par une bagnole ? Nous avons posé la question à Ian Graham, qui nous a orienté sur une voie culinaire nord-américaine (comment bien aplatir un poulet entier pour un barbecue) qui est très bien détaillée sur :
www.youtube.com/watch?v=Ppa1bxB89vg .

(3) NDLR : on attribue à Louis Armstrong cette phrase « I thought all music was folks music – I ain’t heard no horse singing. » (je pensais que toute la musique était de la musique des gens – je n’ai entendu aucun cheval chanter)

 

(Article publié dans le Canard Folk de décembre 2020)