Rencontre avec un musicien emblématique de l’accordéon diatonique en Wallonie. Il est fils de fermiers flamands émigrés à Court-St-Etienne, donc parfait bilingue. Cela ne lui a pas été d’une grande utilité, dit-il, sauf lors de bals Boombal et lors de stages donnés aux Pays-Bas.Marc Bauduin, 3/1/2011

Q : Raconte-nous d’abord tes débuts …

R : Depuis l’âge de 6 ans je voulais jouer de l’accordéon(chromatique) ou de la cornemuse (écossaise). A 11 ans le curé du village m’a prêté son chromatique, un Fratelli Crosio avec 180 basses. Cela a duré 3 ou 4 ans, jusqu’à ce que le curé soit déplacé. J’en ai cherché un autre, et j’ai trouvé un diatonique d’un de mes oncles. J’en ai joué tout seul pendant quelques années (des chansons à boire, des chansons d’étudiants, Sous les ponts de Paris, …) sans connaître le milieu folk. Vers 79-80 j’ai rencontré au nouvel an Jean-Marie Verbaeys qui en jouait dans les Macloteus et en février de la même année, je faisais mon premier stage avec Louis Spagna.

Q : Louis t’a beaucoup influencé ?

R : J’ai fait mes deux premiers stages avec lui, et c’est vrai qu’il m’a marqué. Une partie de sa façon de jouer m’a influencé, l’attaque précise des notes et le coup de soufflet. Mais j’ai toujours eu envie d’une musique plus énergique, comme les bourrées auvergnates, le répertoire breton ou irlandais. Je suis un « tiré – poussé »:tu lances le mouvement et c’est comme un ressort, ça avance comme une locomotive.

Q : Tu mets parfois une bretelle autour de ta jambe.C’est aussi une influence de Louis Spagna ?

R : Non, j’avais vu, je crois, l’épouse de Remy Dubois qui jouait ainsi. Je participais en même temps qu’elle à un stage. Plus tard, j’ai eu à jouer quatre fois en un week-end et j’avais mal au dos : je me suis mis alors une bretelle à la jambe pour pouvoir bien m’adosser à la chaise. Encore plus tard, j’ai vu que d’autres s’étaient mis à le faire aussi. J’ai donc arrêté ! Je suis comme ça,moi … (sourire)

Q : Christian, est-il exact que tu es musicien professionnel ? Comment as-tu pris cette décision ?

R : J’ai travaillé pendant 25 ans dans une agence bancaire, un boulot intéressant par les contacts que tu as et par tous les problèmes à résoudre. J’ai eu des soucis de santé, suite à quoi j’ai été en arrêt de travail pendant une longue période. Au moment où je songeais à recommencer à mi-temps, Louis Spagna m’a proposé de reprendre une partie de ses élèves en mai 2008 à Jodoigne (le centre culturel, mais dans les locaux de l’académie) et à Eghezée (un CEC, antenne du centre culturel). Et l’année suivante j’ai repris les cours de Marianne Uylebroeck au centre culturel de Braine-le-Comte. Les cours ont lieu en gros une semaine sur deux, avec en tout environ 55 élèves. Financièrement je m’en sors, car c’est considéré par la mutuelle comme une activité complémentaire. C’est un peu équivalent au statut de l’artiste, mais avec la mutuelle au lieu de l’Onem.

Q : Comment cela fonctionne-t-il administrativement ?

R : J’ai des contrats SMART. C’est une asbl (il doit en exister deux autres du même genre) qu’on peut comparer à un bureau d’intérim, mais spécialisée dans le milieu du spectacle. Je suis officiellement employé de SMART pendant mes prestations. Chaque mois (mais je peux choisir la fréquence), j’envoie la liste de mes prestations à venir. Pour chaque prestation, je déclare la date, le montant, le type (artistique ou autre) et les coordonnées de l’organisateur (qui doit être reconnu par SMART). Je signe le contrat, je l’envoie à l’organisateur qui le contresigne et qui le renvoie à l’asbl. C’est donc SMART qui me paie (en retenant 6% de commission) et qui facture l’organisateur. J’en suis très content, car je n’ai pas de soucis administratifs, je suis en règle avec les lois sociales, cela compte pour la pension, etc. Il faut compter que pour 250 € de cachet brut, je reçois environ 110 € net. A chaque prestation correspond un contrat et un C4. Tout se fait via internet, très facilement malgré le nombre d’intervenants. Cela peut paraître tellement utopique de vivre « de son art ». On peut se le permettre plus facilement quand on est jeune, je crois, quand on n’a ni famille ni engagements financiers. J’aimerais bien sûr rester professionnel de la musique, mais j’ai actuellement environ 20 heures de cours plus le temps de préparation, je ne pourrais pas faire plus …

Q : Peut-être tourner plus avec tes groupes ? Quels sont-ils ?

R : En effet, j’aimerais plus tourner. Il y a Balàfond,avec Luc Pilartz, sa compagne Adeline Ghislain et Michel Jacqmain. Compagnie Trad est au placard, depuis que Franco Delvecchio est parti s’installer dans le sud de la France les répétitions sont un peu difficiles … Levan, avec Aurélie Giet et Michel Jacqmain, a été en arrêt forcé pendant le long séjour d’Aurélie en Suède, mais j’espère bien reprendre d’arrache-pied dès maintenant.Dis bien que ça se prononce « les vannes » ! (rires). En fait le nom du groupe vient de notre premier concert :nous n’avions pas encore de nom mais il fallait en donner un pour les affiches, et comme on jouait à ce moment l’Evans polka (polka d’Eva, un air finlandais aussi appelé « Finnish polka » sur un cd), l’Evans est devenu Levan. Le répertoire de et de Balàafondest similaire, c’est du bal européen, avec peut-être un tout petit peu plus de Centre France et de bourrées dans Balàafond. Et depuis cet hiver il y a « Duo de soufflets » avec Jean-Pierre Wilmotte, nous jouons tous les deux du diatonique, du mélodéon et du concertina.

Q : Du concertina ? De quel type ? Tu l’as trouvé où ?

R : Un concertina anglo, c’est le type le plus connu, je crois. C’est pas trop difficile à jouer quand on connaît le diato, de sonorité un peu limitée mais léger et avec des possibilités énormes. J’ai acheté chez Viseur le modèle de base, à environ 500 euros. Le problème est qu’il n’existe pas de milieu de gamme en concertina : soit c’est le modèle de base, soit c’est directement 5.000 euros. Je recommande chaudement Viseur : je travaille beaucoup avec lui, c’est un passionné et il sait vraiment de quoi il parle.

Q : Parlons donc de tes accordéons, de leur accordage et de leur entretien.

R : J’ai trois Bertrand Gaillard en noyer : un Sol-Do et un La-Ré avec 2 rangs 8 basses, et un Sol-Do avec 2rangs et demi et 12 basses. J’ai acheté le premier un peu par hasard à St Chartier; Marc Lateur en avait un et en était très content. Puis, si tu es content, tu restes dans la marque. Même si je regrette un peu le manque de profondeur des basses. L’accordage se fait chez Viseur, et l’entretien chez Gaillard.Et j’ai construit cet été avec Emmanuel Pariselle en stage à Harsin un Do-Fa et un Sol-Do en merisier, dont un avec accordage swing (donc pas mal de vibrato)pour accompagner du chant. Le prochain que je construirai aura une caisse une alu, ou peut-être en carbone, pour le poids. Le son est en fait déterminé surtout par les sommiers, qui s6 février 2011eraient en bois, et non par la caisse. Il existe d’ailleurs des chromatiques en métal. Et sais-tu que Yann Dour a un diato entièrement en plexiglas ? On voit les lames à travers.Mon rêve, ce serait de construire une basse aux pieds.Je vais m’en construire une, mais je me demande comment m’y prendre pour le soufflet, car les plis sont plus grands d’un côté que de l’autre. Je vais peut-être essayer avec un soufflet de chromatique. Et pour les lames, pas de problème : on joue encore de la basse aux pieds dans les pays de l’Est, et Viseur m’a montré un accordéon basse, sans main gauche et avec rien que des notes très graves à la main droite. Impressionnant !Bref, je m’intéresse à la mécanique et à tout ce qui est technique … J’ai par exemple déjà fait pas mal d’essais de micros sur mon diato : à l’intérieur, à l’extérieur, sur mes mains (si, si !). Mais il n’y a pas de système idéal … actuellement ma préférence va à un micro sur pied pour la main droite et un micro-pince à la main gauche.

Q : Que penses-tu de la musique traditionnelle wallonne ?

R : Je n’ai jamais vraiment accroché, j’ai une nette préférence pour des morceaux dégageant de l’énergie et je ne retrouve pas cela dans ce répertoire. Par contre, j’ai entendu de belles choses jouées par des groupes comme Verviers Central, Matoufèt ou Rue du Village. Je connais pourtant bien ce répertoire, puisque j’ai joué 6 ans avec les Macloteus, et j’ai donné quelques stages de wallon. Mais la Wallonie a connu beaucoup d’envahisseurs et beaucoup d’influences : y a-t-il donc un style wallon ? Tout comme « Jan mijne man »en Flandre me semble fort ressembler à un andro. Mais je n’ai absolument rien contre le wallon.

Q : Quel est ton répertoire ? Tu t’intéresses aussi à l’irlandais et au suédois, par exemple ?

R : Mon répertoire est surtout constitué de bourrées auvergnates (le disque de François Vidalec m’a beaucoup marqué), de breton et du répertoire de Blowzabella (j’aime beaucoup leur façon de jouer, leur rythme). La musique irlandaise est ce qui m’a motivé au départ pour le diato, mais j’ai arrêté. Pour bien faire il faut un diato irlandais et jouer avec des gens qui veulent faire uniquement de l’irlandais. Il y a 20 ans,j’aurais joué de tout, mais à moins d’être surdoué il me paraît difficile de maîtriser tous les styles. J’aime bien le suédois mais j’en joue très peu, il s’agit d’un style très typé qu’on ne peut « choper » comme ça, cela demande un total investissement. Pour bien l’interpréter il faut s’en imprégner, et pour cela il faut du temps. Cela n’empêche qu’on peut avoir beaucoup de plaisir à jouer des morceaux suédois ou autres, mais il faut savoir rester humble.

Je constate qu’on va vers une bâtardisation de la musique, qu’elle soit suédoise ou autre. On n’ose plus dire « j’aime le folk », on se laisse influencer. Je crois que Boombal et les groupes flamands sont en bonne partie à l’origine de ce néo-folk qui a cependant réussi à attirer beaucoup de jeunes, mais ils ne veulent plus entendre que ça. J’ai vu un commentaire à mon sujet posté sur un forum : un gars y conseillait de n’absolument pas rater ma prestation mais quelques semaines plus tard,parce que d’autres trouvaient que mon style était trop traditionnel, le même gars disait « oui, mais avant je ne connaissais pas la différence entre néo-folk et musique traditionnelle ». Je devrais peut-être faire quelques concessions pour avoir plus de contrats … Je trouve regrettable la voie empruntée par cette vague néo-folk.Car ce qui a toujours plu aux gens dans le folk, c’est l’accessibilité de la musique et de la danse. Or on est en train de complexifier, cela devient élitiste : des néophytes n’osent pas monter sur la piste sans avoir suivi de stage, pour danser par exemple la « masturka »(c’est une expression un peu osée de S. K.) et ses déhanchements. On perd une grosse part de la convivialité du folk. La nouvelle façon de danser devient la norme et ceux qui font autrement sont des ringards … Mais bon, tout évolue et il faut que cela évolue mais à force de marcher en négligeant les racines, nous perdons quelque chose de vraiment essentiel : l’âme de la musique traditionnelle qui a quelque chose d’envoûtant dans sa simplicité.

Q : Reparlons un peu de tes cours : qui sont tes élèves ?

R : Il y a beaucoup de débutants, seulement 4 ou 5 avancés. Curieusement, il y a 90% de femmes. Elles viennent pour moi !! (rires) C’est étonnant. Il y en a de tous les âges, mais surtout entre 35 et 45 ans. Pourquoi ces gens sont-ils intéressés par le diatonique ? On entend beaucoup plus cet instrument depuis dix ans, et Didier Laloy est un moteur, un emblème. Je crois que les élèves sont plus attirés par la sonorité que par le répertoire. Quelques-uns ont d’ailleurs expressément envie de jouer autre chose que du traditionnel, par exemple de la chanson française. Je vais devoir trouver quelques airs marrants. Le rock et le blues vont très bien aussi au diatonique. Je joue d’ailleurs un rock de Johnny Halliday quand on me demande un madison. J’aime bien danser le madison, même moi qui ne danse plus beaucoup. C’est comme pour les danses bretonnes,il y a un esprit de groupe, on danse à l’unisson.

Q : Autre chose : es-tu présent sur internet ?

R : Je trouve internet vraiment très utile … mais je n’ai pas la patience. Il y a trois ans je m’étais fabriqué un site, puis soudain l’accès m’a été refusé, je n’ai pas compris pourquoi. Résultat, je n’ai plus rien sur internet actuellement.

Q : Et un cd ?

R : J’y ai souvent pensé. L’hiver passe trop vite ! Je n’y mets pas l’énergie nécessaire. J’aimerais beaucoup enregistrer un cd avec quelques potes … peut-être pour l’été. Le programme est prêt, avec trois quarts de compositions.

Q : Un dernier mot ?

R : Une petite annonce : je cherche des micros d’occasion, et je peux aussi réparer des micros. Pour tous instruments. Je peux rendre des services dans ce domaine (installation sur les instruments).

Contact

D’Huyvetter Christian
Rue des Terres Noires,
71490 Court-St-Etienne
010 612629, 0479 328186
e-mail : dhuyvetterch@hotmail.com

Accordéons :

Jacobs Iwein, Sauvegardestraat 17, 2870Puurs (Ruisbroek),

tél 03/866 47 57, www.accordeons-viseur.com, info@accordeons-viseur.com.

 

Une mazurka composée par Christian D’Huyvetter figure dans la rubrique « A vos boutons ».

 

A vos boutons

 

Voici une mazurka composée par Christian D’Huyvetter, avec son doigté et ses accords.
Comme d’habitude, les poussés sont situés au-dessus de la ligne horizontale, les tirés en dessous. Les chiffres entourés d’un rectangle correspondent à la rangée intérieure, celle de Do.
Pour obtenir cet air en fichier midi (que vous pourrez écouter sur tout PC), envoyez un e-mail à canard.folk@skynet.be.

Marc Bauduin

(paru dans le Canard Folk -de mars 2011)