
C’est lors d’un échange à propos du groupe luxembourgeois Dullemajik avec Jacqueline Servais, vielleuse du groupe Trivelin, que celle-ci s’exclama : « Marc, tu ne sais pas qui j’ai rencontré à Luxembourg !!! » Une seconde de stupéfaction plus tard, la décision est prise : nous allons, l’interviewer, voir s’il lui reste des souvenirs de son grand-père …
Jacqueline réalise l’ interview que Michel Pêcheur, accordéoniste de Trivelin, a proposé de filmer. Elle rédige l’article ci-dessous. Le Canard Folk les remercie vivement tous les deux, ainsi que Freddy Schmitz pour sa disponibilité.
Marc Bauduin

Rencontre avec un musicien passionné, passionnant : Freddy SCHMITZ, petit-fils d’Henri SCHMITZ.
Tous les amoureux des musiques traditionnelles de Wallonie connaissent Henri Schmitz (1904-1977), violoneux de la région de Bastogne, célèbre pour avoir joué lors des premiers festivals de musique folk à Champs (Bertogne) de 1973 à 1975, et surtout pour avoir exporté en 1976 la musique wallonne au « Festival of American Folklife », le plus grand festival de folklore jamais organisé à Washington !
Un hasard miraculeux m’a permis de rencontrer récemment, à la fin d’une soirée dans la prestigieuse salle de concert « La Philharmonie » à Luxembourg où je jouais avec le groupe folk luxembourgeois Dullemajik qui fêtait ses 50 ans, un charmant monsieur d’une soixantaine d’années au sourire timide et aux yeux pétillants. Il se présente : « je connais un peu le folk : mon grand-père s’appelait Henri Schmitz ». Imaginez mon émoi !
Nous discutons à bâtons rompus, de son grand-père essentiellement, bien sûr, et je lui demande humblement s’il accepterait que j’aille l’interviewer. D’accord !
Vous trouverez via le lien www.youtube.com/watch?v=c8Y_yw8vRKI un film réalisé par Michel Pêcheur, reproduisant l’intégralité de cette interview qui a eu lieu le 30 juillet 2025 à Champs, dans la propre maison d’Henri Schmitz où habite maintenant son petit-fils Freddy, depuis plus de 25 ans.
En voici un condensé :

Qui est Freddy Schmitz ?
Il est originaire d’Etalle. « Je vis en Ardenne, mais je suis Gaumais – précise-t-il fièrement – j’ai une double culture » !
Enfant, sa maman l’inscrit à l’Harmonie locale, la Stabuloise, où il suit les cours de solfège. Il poursuit à l’Académie d’Arlon, puis au Conservatoire de Liège puis de Bruxelles, en saxophone et clarinette.
Fort de cette solide base musicale, il se lance dans une carrière de musicien professionnel. Il est engagé occasionnellement comme saxophoniste dans l’Orchestre Philharmonique de Liège où il joue Gershwin, Bernstein, etc.
Nous sommes bien loin du folk, bien que Gershwin, c’est du folk américain, ajoute-t-il.
Il se dirige ensuite vers les musiques militaires et, sur concours, il intègre la musique des Forces de l’Intérieur, Les Chasseurs Ardennais, à Arlon puis à Namur. Les nombreuses restructurations de l’armée l’amènent à s’engager comme musicien à la gendarmerie où il fait carrière comme gendarme pendant seize ans, pour terminer dans la Force Aérienne.
Les trajets quotidiens vers Bruxelles devenant trop pénibles (il habitait déjà à Champs près de Bastogne), il se lance dans l’enseignement dans les académies, tout d’abord à Saint-Hubert où il donne les cours de saxophone et de clarinette.
Depuis 1996, ayant déjà un pied à Luxembourg, il fait le choix de poursuivre toute sa carrière au Grand-Duché où, en parallèle avec l’enseignement en académies, il a dirigé un grand Orchestre d’Harmonie qui comptait jusqu’à 80 musiciens. (En 1980, il a assuré la direction musicale de l’Harmonie Royale du Hérou à Nandrin et de 1981 à 2021, il a dirigé l’Harmonie Royale Caecilia de Izel. Depuis 2005, il est président de la « Fédération Musicale du Luxembourg Belge ») Ndlr.
Voilà aujourd’hui un homme fraîchement retraité, très heureux de sa foisonnante carrière de musicien, mais qui a toujours gardé un contact avec la terre, notamment avec les chevaux, ce qui lui a apporté un certain équilibre au moment où il commençait à saturer de son métier de musicien enseignant.
Le voilà aujourd’hui éleveur de chevaux et passionné d’attelage.
La compétition dans ce domaine lui permet d’obtenir en 2019 le titre de « Champion de Belgique d’attelage » ! Excusez du peu !
Remontons le temps : d’où vient ce talent de musicien ?
Son papa jouait de l’accordéon chromatique et, vers 4-5 ans, à la soirée, quand il n’y avait pas encore de télévision, il l’accompagnait en jouant de la petite caisse. « Cela a été mon initiation musicale », dit-il. Sa maman chantait.
Son grand-père Henri, à l’époque, ne jouait plus du tout de musique, il n’avait plus son violon qui avait été volé, parait-il, par un soldat allemand en 1940.
Mais il chantait et sifflait beaucoup en exerçant son métier d’ardoisier.
C’est au contact du chanteur Jofroi, installé dans une ferme proche, que sa passion est revenue et qu’il a racheté à Liège un violon quand on lui a proposé de jouer de la musique de terroir dans les premiers festivals folks à Champs en 1974 et 1975.

Freddy est très fier de raconter le voyage de son grand-père, parti en 1976 aux U.S.A. avec son frère qui jouait de l’harmonica, sous la houlette de Bernard Gillain et la RTBF. Il regrette de ne pas avoir pu y aller, étant trop jeune.
Freddy ne sait rien de ses ancêtres ménétriers. Je lui lis un texte issu de la pochette du 33t « Anthologie du folklore wallon » volume 4, réalisé par Claude Flagel et Françoise Lempereur :

« C’est à Longchamps, petit village dans la région de Bastogne, qu’est né Henri Schmitz, le 10 août 1904. Vers l’âge de 10 ans, il se met avec ses deux frères, à l’étude du violon, de l’accordéon, de l’harmonica (ou « musique à bouche ») et de la clarinette. Leur professeur n’est autre que leur père, excellent ménétrier, lui-même fils de ménétrier. Ernest, frère d’Henri, se plaît à répéter que la plus grande partie du répertoire d’Henri (valses, mazurkas, polkas, scottishes, maclotes, … ) vient, via leur père, du grand-père, ancien berger, mort en 1934 à l’âge de 88 ans. »
Freddy avoue ne rien savoir de tout ça : « Vous me l’apprenez, mais s’ils l’ont dit, c’est que c’est vrai ». Il sait juste que le grand-père d’Henri était berger, parti dans la région de Binche avec tout son troupeau de moutons.
Que représente le folk, pour Freddy Schmitz ?
Il se dit ouvert à toutes les musiques et le folk représente pour lui cette époque, puisqu’il a accompagné son grand-père à gauche et à droite. Il se souvient de ses chansons et des groupes comme « Les Pêleteux » et les « Mineus d’Arèdje »
Il joue tous les styles de musique, surtout les musiques militaires et peut jouer du folk, mais ce n’est pas son quotidien.
Maintenant qu’il est retraité, il a mis en pause clarinette et saxophone et a commencé l’accordéon chromatique à boutons. Cette envie lui est venue de son père mais surtout de ses deux filles qui ont suivi des cours au décès de leur grand-père. Les écouter si bien jouer, le soir, lui a donné l’envie de s’y mettre aussi. Il s’est donc inscrit comme élève régulier au Conservatoire de Luxembourg dans la classe de Maurizio Spiridigliosi, celui-là même qui nous a présentés l’un à l’autre lors du concert de Dullemajik à Luxembourg.
Je fais part de mon étonnement devant l’engouement du public à tous les concerts de ce groupe folk luxembourgeois qui remplit des salles de 500 places.
Freddy confirme que les Luxembourgeois sont très fiers de leur terroir, leur langue et leur patrimoine musical. Il reproche aux Wallons de ne pas avoir cette fierté et cette curiosité de leurs racines et de leurs dialectes.
Pour lui, l’enseignement de la musique et des chansons wallonnes doit se faire dans l’enseignement général. Il déplore le désert musical dans les écoles primaires et secondaires, alors qu’au Grand-duché et en Allemagne la plupart des collèges ont un orchestre d’harmonie.
Je lui fais part de l’excellent travail fourni par l’IMEP qui a ouvert cette année une section « Musiques de tradition orale » qui propose des cursus de « master en instruments patrimoniaux », violon trad, guitare folk, accordéon diatonique, cornemuse … Il trouve cela très bien mais pense que seule une très petite tranche de la population aura accès à ces enseignements.
Il insiste : il faut introduire cela dans l’enseignement général.
Comment son grand-père apprenait-il la musique ?
Par l’instituteur et le curé du village ! Ceux-ci faisaient chanter et donnaient des rudiments de solfège.
Mais Henri jouait essentiellement d’oreille. Freddy n’a retrouvé chez lui ni partitions ni carnets de bal. Il a certainement fait des recherches en région liégeoise quand il a été invité par Jofroi et Bernard Gillain, mais il semble qu’il jouait tout de mémoire.
Quel répertoire Freddy joue-t-il à l’accordéon ?
Maintenant qu’il est au tout début de l’apprentissage, il utilise uniquement des méthodes, mais sait qu’il existe des valses, des polkas …
Envisage-t-il de jouer les pièces de son grand-père ?
Il y a pensé mais il lui faudrait les partitions, ou essayer de les jouer d’oreille en écoutant les 33t. mais cela lui prendrait énormément de temps et il n’a pas encore assez la maîtrise de l’instrument.
Quand je lui dis que les mélodies sont assez simples et que beaucoup de « folkeux » ne savent pas lire la musique, il me répond que l’inverse est vrai aussi : les « lecteurs » qui ont appris en académie ont souvent beaucoup de peine à jouer d’oreille.
Je lui rappelle qu’à 15 ans il jouait la « Maclote de Harre » au saxophone avec une maîtrise extraordinaire ! – « Oui, j’étais motivé, à l’époque et je me défendais pas mal ! »

C’est sur un grand rire chaleureux et autour d’une excellente tarte aux pommes recouverte, du meilleur pâtissier de la région que nous nous quittons, en se promettant de se revoir dans six mois pour jouer ensemble du Wallon.
– « Et du Gaumais ! » précise-t-il.
Affaire à suivre, donc.
Peut-être verrez-vous bientôt Trivelin jouer le répertoire d’Henri Schmitz avec son petit-fils Freddy !
Jacqueline Servais
