Quand on voit tout ce que le label écossais Temple Records propose comme cd et bouquins de l’artiste, on est vachement impressionné. C’est une double vie que mène Alison Kinnaird depuis longtemps, ce qui n’empêche qu’elle soit encore peu connue dans notre milieu folk de Belgique.

D’une part, elle figure au top mondial des artisans verriers, avec des oeuvres présentes dans des musées et collections du monde entier. Cela va de petites pièces intimes, gravées ou non, jusqu’à de grands ensembles architecturaux qui incorporent de la lumière et des couleurs. Elle travaille chez elle, un studio aménagé dans une ancienne église.

Certains thèmes sont récurrents chez elle, comme les portes et les fenêtres par où peuvent s’échapper des personnages qui étaient enfermés dans le verre. Ou encore des symboles provenant de mythes et légendes. Elle raconte ce travail, y compris la découverte que les grands formats (“big is beautiful”) ne sont pas incompatibles avec certaines techniques de gravure, dans le livre de 94 pages “Reflections – The art of Alison Kinnaird” qui contient de nombreuses magnifiques reproductions en couleurs ainsi qu’un dvd de vidéos et de musiques.

L’autre aspect de sa vie d’artiste, c’est la harpe écossaise, avec des cordes en boyau ou en acier. Elle fut la première musicienne à enregistrer de la musique de harpe écossaise solo (en 1978), et est co-auteure de l’ouvrage “The Tree of Strings” (l’histoire de la harpe en Ecosse). On ne compte plus ses cd, que ce soit en solo ou avec d’autres artistes, principalement le Battlefield Band et Christine Primrose.

Le tout premier album est “The Harp Key – Alison Kinnaird plays the Scottish Harp” (COMD 1001) Le cd est la réédition du 33 tours de 1978, avec deux morceaux de plus. Ce LP fut une révolution à l’époque : pour la première fois, on enregistrait de la harpe écossaise en solo, jouant de la musique composée pour cet instrument, et non comme simple accompagnement. Alison avait en effet recherché et exploré cet ancien répertoire qui constitue la majorité des airs de ce disque. Et pourtant, elle ne joue pas à l’antiquaire poussiéreuse, mais essaie de traduire dans un langage musical actuel les trésors du passé.
Enfin, il faut comprendre “solo” comme d’habitude : la harpe est parfois seule, parfois accompagnée d’autres instruments. C’est le cas, entre autres, de deux airs bien rythmés : “Killiecrankie”, avec une flûte et un concertina, et “The Kid on the mountain”, une slip jig irlandaise à trois harpes. Côté ambiance, on note un bon équilibre entre airs lents (dont une lamentation) et airs à danser (dont “Castle Drummond”). Et le livret est plus qu’intéressant !

Deux ans plus tard, elle remet ça avec “The Harper’s Gallery” et en 1982, après avoir rencontré la harpiste Ann Heymann (Américaine spécialiste de la harpe à cordes filées), elle sort avec elle l’album “The Harper’s Land – Music for the Irish & Scottish harps” (COMD2012).

En 1988 sort déjà une compilation”The Scottish harp played by Alison Kinnaird” (COMD2005), contenant 16 titres dont trois inédits.

1990 marque la rencontre avec la chanteuse gaélique Christine Primrose qui résulte dans “The Quiet Tradition – music of the Scottish harp – songs of the Scottish Gael” (COMD2041). Toutes les combinaisons entre une ou deux voix et une ou deux harpes sont explorées, ce qui en donne vraiment pour tous les goûts ! N’empêche, c’est toujours la harpe d’Alison qu’on préfère, comme dans “Da Mihi Manum” (donne-moi ta main) où ses interventions sobres et inspirées nous frappent par leur à-propos.

En 2004, voici un cd+dvd “The Silver String” (COMD2096). Le cd débute et se termine par une excellente composition d’Alison. Elle y joue de la harpe et du violoncelle (qui était son premier instrument), son mari Robin Morton apparaît au concertina et Mike Katz (le piper bien connu du Battlefield Band) au whistle. “The Horseman’s Port” est l’occasion de découvrir l’incroyable son de la “bray harp” (jouée surtout au moyen âge et à la renaissance), dont chaque corde en boyau est touchée par une petite cheville, ce qui produit une vibration quasi guerrière.
Le dvd, lui, propose des interviews ainsi qu’une vue sur de nombreuses et étonnantes compositions en verre. Et puis, il y a trois cd en compagnie du Battlefield Band. “Music in Trust” en 1988 (COMD 2010) est un double cd (27 morceaux) destiné à illustrer les plus beaux paysages, châteaux et demeures historiques d’Ecosse. C’est donc de la musique évocatrice, avec différents invités dont notre harpiste.

“Battlefield Band and twelve special guests – Beg & Borrow” en 2015 (COMD2107) est un peu spécial. C’est le 13ème disque du Battlefield, et comme l’Irlande et l’Ecosse ne sont distantes que de 12 miles, ils ont invité 12 musiciens : 4 Irlandais, 2 Américains, 1 Australien et 5 Ecossais dont Alison Kinnaird bien sûr. Enfin, “The Producer’s Choice” en 2016 (COMD2108). Nous avions déjà présenté ces deux derniers dans le Canard Folk.

Ce n’est pas tout … il y a aussi des recueils de partitions, et une méthode “The small harp” (90 pages + cd). Elle explique l’instrument, comment le tenir et l’entretenir, remplacer une code, l’accorder. La méthode progresse par nombre de doigts (2, 3, 4), puis par type de mouvement des doigts, puis par type d’ornementation. Quarante airs sont proposés, de Fairy Lullaby jusque Sleepy Maggie, en passant par Drops of Brandy, Drummond Castle, Atholl Highlanders, Devil among the Tailors et autres airs moins connus. Sur la partition, les numéros de doigts main gauche et main droite sont indiqués au-dessus et en dessous de la portée. Un accompagnement est souvent proposé, sous la forme d’une seconde portée écrite généralement en clé de fa. Tout cela parait suffisamment clair, dans un répertoire agréable. Partons à la découverte !

Marc Bauduin