25 novembre 2013 : date historique pour le manuscrit JAMIN : il a enfin intégré sa demeure définitive : le Musée gaumais de Virton.

Et quelle demeure ! Ce musée vaut vraiment le détour : dans un cadre chaleureux et attrayant, il se développe sur trois niveaux : un espace archéologique présente des piècesde la préhistoire à l’époque gallo-romaine et de l’ère mérovingienne au haut Moyen âge. Une galerie des Beaux Arts présente tous les peintres gaumais, de l’art religieux du Frère Abraham d’Orval (18e s.) à l’art contemporain passant par tous les grands maîtres des 19 et 20 s. Les caves voutées illustrent dans une décor féérique les contes et légendes de Gaume et la section « coutumes et croyances » qui nous intéresse plus particulièrement mêle art sacré et art populaire.C’est dans cette section que repose désormais le manuscrit JAMIN, l’un des plus beaux fleurons de notre patrimoine musical populaire.(1)

D’où provient-il, ce fameux manuscrit ? Et comment est-il tombé entre nos mains ? Voici l’histoire toute simple, un vrai conte ardennais.

A la fin des années septante, Gui Rulmont, un ami cornemuseux et son épouse Nicole, tous deux passionnés de danse et de musique traditionnelles,vivaient à Joubiéval, en Ardenne profonde.Ils firent la connaissance de Mr Émile Potelle,l’instituteur de leurs enfants, avec qui ils bavardaient souvent autour des vieilles coutumes ardennaises, et notamment des vieilles musiques et chansons.Mr Potelle savait que Melle Cécile Gérard, institutrice retraitée de Grand-Halleux près de Vielsalm possédait un ancien manuscrit musical. En effet, en 1978, il avait participé à une exposition : « Une ferme en Ardenne en1878 » et Melle Gérard avait proposé plusieurs de ses trésors, dont ce fameux manuscrit. Celui-ci n’a finalement pas été exposé, les organisateurs jugeant qu’il n’avait pas sa place dans une ferme ! Mr Potelle introduisit les Rulmont auprès de Melle Gérard et c’est ainsi qu’ils purent voir et toucher ce vieux carnet de ménétrier. Ce fut pour eux un très grand moment.

Gui et Nicole, que nous rencontrions régulièrement dans les bals folk de l’époque, savaient que nous étions, Walter et moi, à la recherche des traces de notre patrimoine musical dansé.Ils obtinrent pour nous une entrevue chez Melle Gérard.Quelle émotion ! Dans une superbe demeure bourgeoise du 19 siècle, véritable maison-musée en pierre grise du pays, nous fûmes reçus dans une pièce fleurant bon la cire d’abeille, entièrement tapissée de centaines de livres anciens, héritages de plusieurs générations, dont le fameux manuscrit ! Nous le feuilletâmes avec précaution et demandâmes humblement à l’emprunter un jour ou deux pour pouvoir le photocopier : pas question ! Il ne sortira pas seul de la maison !

Une solution fut trouvée : Melle Gérard viendrait chez nous à Attert, avec les Rulmont et le manuscrit, et nous irions le faire photocopier dans une imprimerie.Ainsi fut fait : après avoir bu le thé et mangé la tarte aux pommes, nous allâmes tous ensemble à la« Papeterie lorraine » à Arlon pour photocopier les 142pages sous l’œil vigilant de Melle Gérard qui s’en retourna avec son précieux document, tout en nous promettant de faire des recherches sur la généalogie de son auteur. (voir lettre ci-jointe).

Entre 1979 et 1981, nous avons entretenu une fructueuse correspondance avec le docteur Roger Jacquemin de Charleroi, lointain descendant de notre Jamin. Il nous a confié de nombreuses copies de ses archives familiales concernant la famille de Warion.Nous venons de les déposer également au Musée de Virton.

De leur côté, les Rulmont collationnaient les souvenirs de Melle Gérard.

Dans Le Gletton n° 53 de décembre 1979, ils livrent ceci :

« Le manuscrit a été transmis à la famille de Melle Gérard par Firmin de Warion, né en 1848 à Meix-devant-Virton. Le père de Firmin était Louis-Auguste de Warion, né à Houffalize et mort à Meix …Son arrière-grand-père était Augustin de Warion qui a épousé Anne-Marie Jacquemin ou Jacqmin, au milieu du XVIIIe s. (or sur la couverture du manuscrit, une étiquette indique « Cahier de Musique A M JACQUEMIN »). Anne-Marie est-elle l’auteur du manuscrit ? Ou est-ce quelqu’un de sa famille ? Qui était François Joseph JAMIN ? Un aimable lecteur du Gletton peut-il venir à notre aide et éclaircir avec nous ce mystère ? Y a-t-il des Jacquemin-Jacqmin-Jamin en Gaume (ou autres collines) qui ont connaissance d’un(e) violoniste dans leurs ancêtres ? D’avance merci. »

Ce lecteur providentiel fut André ROGER de Gérouville, autre danseur passionné, qui a patiemment compulsé toutes les informations fournies et a accompli un travail de recherche remarquable, pour finalement produire un arbre généalogique très fouillé. Nous savons désormais que François-Joseph JAMIN est né à Meix-devant-Virton le 27e jour du mois de pluviôse, an dix, soit le 17 février 1802. On n’a pas trouvé la date ni le lieu de sa mort, mais on sait qu’il vivait encore en 1869. Il était cantonnier de son état, et l’unique auteur du manuscrit. En 1985, Mr Emile POTELLE, constatant l’intérêt que suscitait ce manuscrit, en a publié une courte étude, sur son origine et sa transmission, avec quelques notes sur son contenu :

« A propos du manuscrit du Ménétrier gaumais Jamin conservé à Grand-Halleux » dans la revue Glain et Salm Haute Ardenne N° 23 décembre 1985,édité par l’a.s.b.l .Val du Glain, Terre de Salm.

En l’année académique 1986-1987, Bénédicte DONAY a présenté un mémoire pour l’obtention du titre de licenciée en Histoire de l’art, archéologie, option Musicologie, à l’Université de Liège :
« Le manuscrit de Francois-Joseph JAMIN, ménétrier gaumais au XIXe siècle ».

C’est un travail remarquable, comprenant une étude musicologique approfondie de chacune des pièces du manuscrit, assortie de considérations sur le contexte géographique, humain et social de l’auteur, ainsi que des notes sur la pratique musicale et chorégraphique de l’époque.

Melle Cécile Gérard est décédée pendant que Bénédicte Donay rédigeait son mémoire, donc en 1986.Après sa mort, le manuscrit fut confié (ou plutôt, vendu à un bon prix, paraît-il) à la Commission royale belge de Folklore qui l’acquit en 1988 auprès de Mme Meyer de Grand-Halleux.

Le précieux carnet traîna là dans un tiroir du Ministère de la Culture, durant quelques années.Jusqu’au jour où Walter LENDERS, alors membre du Secteur de l’Ethnologie au sein de ce Ministère,se mit à sa recherche … et le retrouva !Il se vit confier la tâche de le scanner, de le nettoyer,page par page ( merci photoshop ! ). Un véritable travail de bénédictin. Tout cela dans le but,pour le Ministère, d’en publier un fac-similé,( ce qui ne fut jamais fait ), avant de le déposer au Musée gaumais ( ce qui est fait ).

En conclusion, aujourd’hui, il est possible de consulter au Musée gaumais de Virton cet authentique carnet d’un ménétrier du XIXe siècle, ainsi que l’étude qu’en a faite Bénédicte Donay.

Il est possible également de se procurer un DVD du carnet scanné par les soins de Walter à mon domicile :96, Voie de la Liberté 6717 ATTERT. Infos :jacqueline.servais@skynet.be ou 063/21 70 46.

Jacqueline Servais

(1) Contact ; Mr Didier CULOT, Conservateur des Musées gaumais, 38-40 Rue d’Arlon, 6760 VIRTON    E – mail : courrier@musees-gaumais.be Web : www.musees-gaumais.be

 

 

(paru dans le Canard Folk de février 2014)

Ci-dessous : extrait de la Chronique des Musées Gaumais, Bulletin d’information trimestriel, 3e-4e trimestres 2013 Edité par MUSEES GAUMAIS a.s.b.l. , Société Royale Virton-Montauban-Mpontquintin-Latour38-40, Rue d’Arlon 6760 VIRTON tél. 063/58.89.50,   www.musees-gaumais.be, courrier@musees-gaumais.be