Parmi les instruments apparentés à l’épinette que nous connaissons ici, sa cousine norvégienne, la langeleik, connait depuis quelques années une intense activité.
Renaissance de la facture, avec la reconstitution d’instruments anciens possédant des échelles bien particulières, ou création d’une langeleik électro-acoustique avec clavier mobile.
Edition d’un ouvrage magistral « Langeleiken – heile Noregs instrument », et publication d’un récent album, interprété exclusivement sur instruments anciens.
Création d’un cours en ligne, « Lær Langeleik », habilement élaboré sur le plan didactique.
Toute cette effervescence s’accompagne de l’arrivée d’une nouvelle génération d’instrumentistes qui poursuivent et diversifient les voies tracées par leurs prédécesseurs.
Nous en avons rencontrés plusieurs, dont le parcours est à suivre avec attention.

La première à avoir répondu à nos questions, aussi la benjamine, se nomme Ingeborg Onstad.
Lors du festival Jørn Hilme Stemnet de cette année, elle s’est produite en soliste (accompagnée sur quelques morceaux par sa sœur Margit) le samedi 12 juillet, pour une prestation très variée, alternant les chansons et les instrumentaux. Moment remarquable quand elle interprète « Elv », une adaptation de « River » de Joni Mitchell.

Liens:

www.youtube.com/watch?v=qOQm0fknUxo

 

 

open.spotify.com/track/4Xmtnkuhi4ZdLcHS3DpoKD?si=c0f32911df8d4bac

La seconde, qui a très gentiment répondu à nos questions, se nomme Andrea Søgnen. Elle a remporté les deux derniers concours nationaux, Landskappleiken, et celui du Jørn Hilme Stemnet de cette année. Elle développe un style tout à fait original axé sur la musique à danser.

Liens:

www.youtube.com/watch?v=yldbgFwO0Bs

www.folkartist.no/andrea-soegnen.565488.no.html?lart=k8M_2e60bd4219

https:/www.instagram.comandrea.sognenigsh=azlxbmZiZWJwaG9j&utm_source=qr

Le Canard Folk : Pouvez-vous vous présenter ?

– Ingeborg Onstad : je suis norvégienne et je joue de la langeleik, un instrument traditionnel. J’ai 20  ans et j’étudie la musique à l’Académie Norvégienne de Musique d’Oslo. Mon instrument principal est le chant, la langeleik est mon second instrument. J’ai appris à jouer vers l’âge de dix ans à l’école de musique. Je viens du Valdres, une vallée où la tradition de langeleik est présente depuis des siècles. Je me sens chanceuse d’avoir appris cet instrument et de l’avoir appris auprès de très bons professeurs.

– Andrea Søgnen : Je viens de Gol, une petite ville du Hallingdal. J’ai commencé la langeleik vers l’âge de huit ans, en cours particuliers avec Gunnlaug Lien Myhr, mon professeur depuis mes débuts, et avec qui je continue à travailler. J’ai étudié la musique traditionnelle pendant trois ans à l’Université du Sud-Est de la Norvège, sur le campus de Rauland.

 

LCF : Quel musicien de langeleik a eu la plus grande influence sur votre jeu  ?

– Ingebjorg O. : J’ai appris les bases avec Gunvor Hegge. C’était une professeure formidable et patiente qui encourageait ses élèves à jouer ensemble. Nous avons appris des chansons pour enfants, des airs de danse et parfois nous chantions en jouant. C’est elle qui m’a inspirée, dans mon apprentissage et mon intérêt pour cet instrument.

À treize ans, j’ai pris des cours avec Marit Karlberg (du duo Sudan Dudan). C’est une excellente chanteuse et elle m’a appris à chanter tout en m’accompagnant à la langeleik. Elle reste mon plus grand modèle musical et m’a beaucoup apporté sur le plan vocal, et instrumental.

– Andrea S : J’ai beaucoup appris de nombreux musiciens, mais ce sont Anders Røine et Gunnlaug Lien Myhr qui m’ont le plus influencée. Ils sont tous deux de grandes sources d’inspiration !

Avez-vous été inspiré par les enregistrements d’archive ?

– Ingebjorg O. : J’ai commencé à m’y intéresser. Je chante aussi dans un groupe appelé Treak, un trio vocal féminin du Valdres, qui interprète la musique découverte dans ces archives. Les deux autres membres, Marit Karlberg, et Ingrid Lingaas Fossum sont également chanteuses et joueuses de langeleik et toutes les deux ont été mes professeurs. En travaillant avec Treak, j’ai découvert une chanson intitulée « Nu vil jeg fortelle min skjebne så tung », écrite par Ragnhild Rolandsgard. Il s’agit d’un collectage. Les paroles et la mélodie m’ont inspiré une nouvelle version, que j’ai intitulée « Min far », en français « Mon Père ». J’utilise les anciennes paroles et la mélodie, mais j’ai créé un refrain et un arrangement avec une langeleik. C’est une chanson que j’ai publiée sur différentes plateformes en juin 2025.

– Andrea S : Oui ! J’ai passé beaucoup de temps à travailler sur les traditions de langeleik du Hallingdal. Nous avons des enregistrements d’archives de quatre joueurs de la région, que j’ai beaucoup écoutés. J’ai également exploré de vieux enregistrements de langeleik provenant d’autres régions de Norvège. Parmi mes préférés, on trouve les archives d’Arthur Vibeto du Telemark, qu’Anders Røine m’a fait découvrir. J’écoute aussi beaucoup de vieux enregistrements de hardingfele et de chanteurs traditionnels

LCF : Quels instruments utilisez-vous  ?

– Ingebjorg O. : J’ai deux instruments très différents  : une Røine-leik et une Oddrun Hegge-leik (Ndlr : du nom de leur fabricant). Le Røine-leik est une Langeleik électro-acoustique avec amplificateur intégré, frettes ajustables et capodastres, et seulement sept cordes. L’Oddrun Hegge-leik est une copie d’un instrument traditionnel avec une corde mélodique, neuf cordes et des sculptures traditionnelles. J’utilise les deux instruments en concert, car je peux ainsi accorder l’un en la majeur/mineur et l’autre en si majeur/mineur. J’aime utiliser les deux en acoustique, et je préfère le Røine-leik sur scène. J’apprécie de jouer en concert, et il m’arrive plus rarement de jouer pour la danse.

– Andrea S : Je joue principalement sur une langeleik fabriquée par Niels Jørgen Røine et Øystein Husemoen, dotée de frettes mobiles, d’un système de microphone intégré et d’une entrée jack (Ndlr : modèle électro-acoustique, voir photo).

LCF : Quel aspect de votre jeu souhaitez-vous développer  ?

– Ingebjorg O. : Je viens de commencer à écrire ma propre musique, et l’utilisation de la langeleik occupe une place importante dans mon écriture. J’écris des paroles en norvégien et je fais des arrangements avec l’instrument. J’aimerais vraiment approfondir cela. Parallèlement, je pense qu’il est important d’utiliser l’instrument de manière traditionnelle, en jouant des airs de danse. Je n’ai pas encore beaucoup joué avec d’autres instruments traditionnels, car la langeleik pose des problèmes de volume sonore dans les grands groupes. Mais jouer avec plusieurs langeleiks peut être vraiment amusant.

J’ai formé un duo avec un guitariste, Elias Wallumrød, rencontré à l’école de musique d’Oslo. Il joue de la guitare jazz et de la country. Nous jouons et nous chantons ensemble. C’est un projet que j’apprécie beaucoup, car il apporte une harmonie et un mouvement que la langeleik seule ne peut pas produire.

– Andrea S. : Je me concentre sur le développement d’un répertoire pour la langeleik, issu de la région du Hallingdal. Ce qui signifie que je passe beaucoup de temps à écouter des enregistrements de joueurs de Hardingfele et de chanteurs, puis à créer mes propres versions pour langeleik, adaptées à mon propre style. Je travaille également sur un projet centré sur l’utilisation de la langeleik pour faire danser.

 LCF : Avez-vous prévu d’enregistrer ?

– Ingebjorg O. : En août 2024, j’ai publié mon premier single sur les plateformes de streaming, « Tida », publié sous mon propre nom, Ingeborg Onstad. C’est une composition, paroles et musique, accompagnée de langeleik, avec guitare, basse et batterie. En juin 2025, j’ai publié « Min far »,un enregistrement live de mon projet en duo avec Elias Wallumrød (langeleik, guitare et chant).

Je compose et je souhaite en enregistrer d’autres en 2025, avec un nouveau morceau en septembre, « Oslos gater », et j’espère que d’autres morceaux sortiront ensuite.

Mon plus grand projet est ce duo guitare & langeleik. Nous nous inspirons de Sudan Dudan (cf. Canard Folk septembre 2023). Notre objectif principal est de trouver notre propre sonorité. Le duo n’a toujours pas de nom, juste Ingeborg Onstad et Elias Wallumrød.

– Andrea S : Oui, à l’avenir ! Mais je ne sais pas encore quand exactement.

 LCF : Aucun homme parmi les futures stars de la langeleik ?

– Ingebjorg O. : depuis le XVIe siècle, femmes et hommes ont joué de cet instrument, mais il a toujours été plutôt associé à l’image de femmes en « bunad » (le costume traditionnel) derrière une table en bois, jouant de la langeleik. Mais les temps changent. Il y a quelques années, Ole et Knut Aastad Bråten, des jumeaux, ont un enregistré un album magnifique, « Til Ragna » (Ndlr. une référence dans la discographie).

 

Propos recueillis par Jacques Leininger