Réactions à l’interview d’Anne Vidick parues dans le Canard Folk en juin 2000

Débat : en réaction aux commentaires de Anne Vidick

Je ne suis pas du tout certaine que les danseurs de groupes folkloriques soient aussi des danseurs de bal folk. Fréquentant à la fois des stages et des bals dans ma région, je peux dire que certains stagiaires, on ne les voit jamais dans les bals. Je pense que les objectifs sont différents, de même que les attentes : les danseurs de groupes folfloriques sont axés sur le spectacle, la démonstration, avec des pas et des chorégraphies minutieusement rodées, répétées, codifiées , le plaisir aussi d’une exécution  » excellente « ; les danseurs de bal prennent du plaisir simplement à danser, dans une ambiance conviviale (mais il est vrai aussi que, quand le bal devient n’importe quoi, avec des gens qui s’agitent n’importe comment, en heurtant les autres, le plaisir peut en être gâché).

Quand j’y pense, je réalise que certains stages sont plus centrés sur les danses de démonstration (ex: les contredanses, les roumaines, les grecques etc..) alors que d’autres stages élargissent le répertoire ou améliorent les danses de bal (ex les bourrées, les danses en rond, les polskas…). Là où les choses se compliquent c’est quand les danses chorégraphiées (et donc relevant me semble-t-il plus du spectacle) s’infiltrent dans l’univers des bals, alors on ne sait plus où on est. C’est peut-être pour cela que je reste  » spectatrice  » durant les séquences  » danses de Renaat  » lors des bals à Borzée. Qu’en penses-tu cher Canard, et toi Anne , et vous chers lecteurs danseurs?

Malou Carels

La pratique de la danse folk dans un groupe de spectacle

En marge de l’interview d’Anne VIDICK

Se fier à sa seule pratique, ce serait se comporter comme un chirurgien qui apprend son métier par essais et erreurs. Glups ! Se contenter d’étudier ou de « penser », ce serait étudier l’anatomie dans ses moindres recoins et se contenter de ces connaissances livresques. Prises isolément, ces deux démarches sont tout aussi inutiles l’une que l’autre.

Sans vouloir l’intellectualiser, je crois que la Danse manque encore trop de « penseurs ». Mais il importe que ceux-ci soient également praticiens, comme l’est Anne Vidick. Ce qui amène nécessairement une remise en question permanente, une recherche constante

J’ai eu le privilège de rencontrer Anne, de temps à autre. De loin en loin, j’ai pu assister à la maturation de son projet, mené aujourd’hui à bon terme. Je ne peux que m’en réjouir tout en l’en félicitant.

Etre danseur folk aujourd’hui, c’est quoi ? Difficile de répondre à cette question car il y a sans doute autant de motivations que de danseurs. Je ne puis, dès lors, témoigner que de mon expérience.

Je danse depuis le début des années ’90 et dans un groupe dit « de spectacle » depuis début 1993. C’est très peu par rapport à beaucoup d’autres danseurs. Mon bagage est assez limité, sauf peut-être dans les Danses Renaissance que j’affectionne particulièrement. Le peu de répertoire que je connaisse, j’ai toujours autant de plaisir à le danser. Lors des quelques rares animations que j’ai eu le plaisir de faire, j’ai essayé de partager le plaisir de danser, même si je reconnais que le répertoire breton m’est assez mystérieux, mis à part l’an-dro et l’hanter-dro et si je suis resté hermétique aux subtilités des kolos ou autres czardas. Je considère, pour ma part, que le danseur folk ne se mesure pas à la quantité de danses connues ou de folklores pratiqués. Danse = Plaisir, c’est ce qui ressortait de la rencontre de Redu. Merci à Anne d’avoir rappelé ce bon moment.

Pourquoi suis-je aujourd’hui danseur folk ? Je ne crois pas que cela tienne aux caractéristiques sociales de ce « monde ». Comme le souligne Anne, on y côtoie effectivement toutes les « catégories sociales » (ah ! ces fameuses étiquettes !). J’y côtoie avant tout des humains, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs capacités et leurs incapacités,…

Pour ma part, sans pouvoir l’expliquer rationnellement, je m’y sens bien. A mon rythme, sans plus. A l’aise, cool. Peut-être, s’il faut vraiment creuser, trouverais-je une explication dans mon goût pour l’histoire. Non pas l’Histoire des dates de batailles et des « grands » personnages, mais plutôt celle de nos pères (terme pris au sens le plus large possible) qui ont fait ce que notre monde est aujourd’hui. Le folklore dansé fait partie de notre patrimoine et l’ignorer revient à nous couper d’une partie de nos racines, aussi lointaines soient-elles. C’est aussi la raison pour laquelle je m’attarde davantage sur les danses qui font partie de mon « fonds culturel » (danses wallonnes, danses anciennes). Les autres folklores, je les pratique très peu, voire pas du tout. A chacun ses goûts, à chacun sa pratique.

Danser dans un groupe « de spectacle » ? C’est, pour moi, avant tout une école de rigueur. C’est aussi, à la fois, un apprentissage personnel et un outil à destination de la collectivité humaine.

Apprentissage personnel pour des raisons qui n’appartiennent qu’à moi. Je puis simplement en dire ceci: La pratique de la Danse dans un groupe de spectacle m’a été (et m’est encore aujourd’hui) nécessaire: davantage d’aisance en public, la faculté d’improviser dans un contexte donné, bref, une manière de me valoriser à mes propres yeux. Alors, la Danse-thérapie ? Oui, j’y crois. Mais être dans un groupe (quel qu’il soit) n’est-il pas, en soi, une sorte de thérapie. En Danse, on s’aperçoit, in concreto, de ses lacunes, de ses limites physiques, voire psychologiques. Dès lors, la Danse peut, j’en suis convaincu, aider grandement une personnalité à se développer harmonieusement, parfois simplement en lui permettant de redécouvrir le shéma corporel, de renforcer une latéralisation par trop confuse. Nombreux sont les exemples, plus nombreuses encore sont les personnes qui pourraient en parler, de manière bien plus talentueuse que moi.

Le spectacle est un outil à destination de la collectivité humaine, en ce sens qu’il rend à la Danse sa place dans ses activités. Aux côtés des ateliers, des animations, des bals folks, la Danse a besoin d’une vitrine. Parce que le monde d’aujourd’hui est ce qu’il est : il a besoin de spectaculaire. Mais, dans le même temps, ce même public doit pouvoir avoir accès à la Danse, physiquement parlant. Là, je crois que nous nous heurtons au poids de la civilisation, des mentalités actuelles.

Etre danseur (et homme de surcroît) est, à l’inverse de la société « civile », relativement aussi lourd à porter qu’être femme. Car, pour maints de nos contemporains, l’équation est simple (simpliste) : être danseur = être efféminé ! Parlez-en à tous les animateurs de groupe : à de rares exceptions près, ils vous diront tous leur désolation devant le manque de garçons. Oh! Quand ils sont petits, pas trop de problèmes. Mais une fois « en âge », ils rejoignent en masse les clubs sportifs (football en tête) pour en revenir « en nage ». Comme si danser n’était pas une activité physique à part entière !!!

La Danse telle qu’exprimée dans les spectacles est et doit rester un idéal à atteindre, eu égard à ce qui précède. Et je considère comme néfastes pour l’esprit de la Danse trois types de spectacles :

– les prestations médiocres de groupes dansant « à la bonne franquette », faisant tout et n’importe quoi, ne respectant ainsi ni les oeuvres dansées (dans leur prescrit et/ou dans leur esprit) ni le public qui a le droit imprescriptible d’être exigeant.

– les « spectacles » présentés dans des conditions indignes, comme les « kermesses au boudin », sur fond de frites, de relents de bière et de fumées de tous ordres, dans une cacophonie sans nom. Se prêter à cela, c’est se dévaloriser à ses propres yeux, c’est « courir le cacheton », c’est renier les efforts consentis à mettre au point une chorégraphie, c’est niveler par le bas. Cela n’a rien à voir avec la promotion de la Danse, que du contraire !

– les shows « à la Riverdance » qui resteront à jamais un rêve inaccessible pour le commun des mortels, même de la plupart des danseurs « de spectacle ». Même si je suis le premier à m’extasier devant la beauté de ce type de spectacle, même si ce type de show professionnel peut être un incitant pour les groupes de spectacle, au fond, une grande partie du public estime (avec raison) qu’il ne pourra jamais en faire autant et donc, que la Danse n’est réservée qu’à une certaine « élite » (voilà le grand mot est lâché). Pourtant, que penser du succès certain rencontré par les écoles de ballet classique ? Combien de parents n’y inscrivent-ils pas tout ou partie de leur progéniture, avec le secret espoir de suciter une étoile ? N’y aurait-il pas là une part de snobisme ?

Bannir tant la médiocrité que l’élitisme des groupes de danses. Voilà, à mon sens, un programme encore à réaliser par les groupes « de spectacle ». Ceux-ci devraient se donner pour but, pas seulement sur papier ou dans leurs discours, de rendre à la Danse la place qui lui revient. Et, à travers la Danse, restaurer certaines valeurs de société, comme l’inter-dépendance de tous les humains, l’esprit commun et solidaire.

Dans le concret, cela donne quoi ? Je n’ai pas de solutions. Seulement quelques certitudes et des pistes plus ou moins claires. Au rayon des certitudes, je rangerai la nécessité absolue de rigueur, condition sine qua non pour prétendre au respect dû au public

dans l’apprentissage d’abord des pas de base, puis des danses, ensuite des divers éléments du spectacle, dans le respect des capacités et des limites de chaque danseur. Chacun a le droit de s’exprimer, de communiquer avec le public, en bref, chacun a sa place sur la scène.
dans le soin apporté à la chorégraphie. Il existe peu de chorégraphes disponibles pour les groupes. Pourquoi n’y aurait-il pas de stages de mise en chorégraphie ? (Hé, Luc Larue, tu me reçois 5 sur 5 ?
dans l’intention de spectacle. Partager une émotion entre soi sur la scène, ce n’est pas nécessairement la partager avec le public, sous peine de ravaler le spectacle au rang d’une simple distraction. Il ne manque pas de formateurs en techniques de scène qui peuvent aider les danseurs à devenir aussi un tant soit peu acteurs.
dans les conditions de spectacle imposées aux organisateurs, toujours au nom du respect dû au public.

Au rayon des pistes à suivre, je plaiderai pour une mise en conformité entre les objectifs poursuivis et l’action sur le terrain. Notamment, par la systématisation des animations du public en parallèle avec un spectacle.  » Le spectacle vous a plu ? Donnez-moi la main et recréons, ensemble, une partie de celui-ci ». Pourquoi une telle démarche ?

Simplement parce que la Danse n’est pas, par essence, un spectacle passif. Durant celui-ci, les danseurs doivent pouvoir faire passer une émotion dans le public. Les costumes, aussi achevés soient-ils, ne sont jamais que des accessoires de scène. S’il n’y a pas d’âme en leur sein, ils ne valent guère plus que le prix de leur confection !

On objectera peut-être que la plupart des danses demandent un minimum d’apprentissage. C’est là que nous devons, danseurs de spectacle, faire un effort de vulgarisation ! Dans tous les folklores, il existe des danses simples et gaies à danser. Et, de toute manière, on ne demande pas au public de danser la forme chorégraphiée (plus ou moins savamment) de la danse, mais la danse de base ou, plus simplement encore, le pas de base. Entendons-nous : il ne s’agit pas de prolonger le spectacle par un stage. Mais de faire retourner la Danse là où elle aurait dû rester tout naturellement: dans la masse. Donner au public la faculté de retrouver, même fugitivement, l’enfant qui est en lui, le plaisir d’être ensemble, le pouvoir d’expression de son corps, de son âme.

A cet instant, il me revient une image : une fin de spectacle dans le hall de la Maison de la Culture de Tournai, dans le cadre du Festival International de danses folkloriques. Un groupe macédonien, chorégraphe en tête, entraînant le public dans une série de danses de son pays. Moment privilégié de bonheur intense partagé par tous les participants, danseurs ou spectateurs. Et peu importe si la perfection technique n’était pas au rendez-vous. L’essentiel est que ce groupe a pu, l’espace de quelques instants, faire partager sa joie de vivre, communiquer avec celles et ceux qui, quelques moments auparavant, étaient restés admiratifs de sa performance scénique.

Oserais-je donc, dans cet esprit, conclure en paraphrasant Mao Tsé Toung :

« La Danse doit être dans le Peuple comme un poisson dans l’eau » ?

Jean-Marie Dontaine, danseur dans « Les Pas d’la Yau »