Isabelle Pêcheur est une jeune personne pleine de ressources. Après nous avoir entretenu, en été dernier, de sa passion pour la harpe et pour le travail du cuir, voilà qu’elle nous introduit dans l’univers des jeux de rôle “grandeur nature”, où les musiciens ne sont pas rares.

Marc Bauduin

Q : S’agit-il principalement de jeux dans une ambiance médiévale ?

R : C’est effectivement une des ambiances les plus propices au folk. Parfois, pour enrichir l’univers, ces GN y ajoutent une dimension « fantasy » qui implique que les scénarios et l’univers sont plus fantastiques (autres races que les humains, possibilité de faire de la magie…).

On s’imagine d’ailleurs souvent que ce sont les seuls types de GN qui existent. En réalité il en existe potentiellement une infinité. Il y a des GN historiques dans d’autres parties de l’histoire et du monde (viking, western, amérindien, antiquité, 2ème guerre mondiale, années 30, époque victorienne…), mais aussi des GN de survie, des GN d’horreur, futuristes, space opera, steampunk, dans le monde des sorciers, etc… Un ami a même créé « Une journée de Hobbit », un GN gastronomique qui consiste à ’immerger dans la peau d’un hobbit avec le mode de vie et le nombre de bons petits plats servi dans une journée que cela sous-entend.

Q : Participes-tu souvent ? Je suppose qu’il y a des saisons (rien en hiver) ?

R : Un peu moins depuis que je travaille le cuir, car la saison des GN tombe en même temps que celle des foires, et ça me demande quelques sacrifices parfois
douloureux. Mais en réalité, c’est un peu comme le folk : les plus gros GN se font presque systématiquement à la belle saison, mais il y en a également le reste de l’année, y compris en hiver.

Q : Je suppose qu’il y a un « maître du jeu » ? a-t-il un rôle particulier en plus de maître du jeu, ou bien cela peut-il varier ? Que faut-il comme qualités pour être
maître du jeu ? Quel est le nombre approximatif de participants ? Combien de temps ça dure en moyenne ?

R : En effet, pour un jeu de rôle sur table pour 2 à 5 joueurs, un « Maitre de jeu » suffit. Cependant, une unique personne organisatrice ne va rapidement plus suffire pour du Grandeur Nature. En GN, il y a une multitude de formats. Pour simplifier grossièrement :

Il y a des formats courts, comme des « Soirées enquêtes », qui, comme leur nom l’indiquent, se passent en une soirée, parfois même dans la maison de l’organisateur et qui souvent est dédié à une dizaine de joueurs. Ils doivent souvent résoudre une enquête qui se termine à minuit, tel un cluedo géant.

Ensuite il y a toute la gamme des « petits GN » qui peuvent accueillir plusieurs dizaines de joueurs. Là, une équipe d’organisateurs devient nécessaire, souvent un noyau d’une demi-douzaine, avec des aidants. Ces GN sont souvent calibrés sur un weekend pour permettre au plus grand nombre d’être disponible.

Puis il y a ce qu’on appelle les « Mass LARP », qui eux accueillent des centaines, voire des milliers de joueurs. Là on parle d’un noyau d’une quinzaine d’organisateurs
et de nombreux aidants. Des équipes de scénaristes, de créateurs et de gestionnaires d’univers, de référents de faction, de gestionnaires administratifs, de graphistes,
de « cafteurs », de responsables logistiques, etc… sont mises sur pied. Souvent, ils demandent également une équipe de montage et celui-ci va durer une ou plusieurs semaines. Parfois, les joueurs sont invités à intégrer l’équipe de montage contre la gratuité ou une réduction du prix de l’événement. Leur durée se cantonne généralement également à un weekend, mais pour les plus gros, ils débordent généralement sur 4-5 jours.

Dans des pays comme l’Allemagne, certains GN comme Conquest of Mythodea peuvent atteindre les 6000 personnes ! Au Canada, Bicolline en accueille 3200 sur un site où 220 bâtiments ont été bâtis pour l’occasion. Les équipes sont entièrement bénévoles (même si dans certains pays, quelques rares personnes en ont fait leur métier) et demandent une véritable organisation en asbl. En fait, encore une fois, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec le folk. L’organisation des GN ressemble fort à l’organisation des concerts et festivals. Dans sa dynamique également. On commence par vouloir donner un coup de main, ou scénariser son groupe de copains, puis avant même de s’en rendre compte, on s’improvise organisateur pour aider sa faction à monter un modeste événement (Interlive) au sein de l’univers pour aider ses copains à patienter
jusqu’au GN annuel. Puis on peut vite se prendre au jeu et être intégré à une équipe d’organisateurs pour une plus grosse structure. On donne alors volontiers de son
temps libre toute l’année tout comme de nombreux organisateurs de festivals pour faire rêver des gens le temps d’une immersion dans un univers qui sera une bouffée d’air pour des centaines de personnes.

En plus des organisateurs et des joueurs (PJ, personnage joueur), il existe le plus souvent des rôles intermédiaires sur le jeu, appelés « PNJ » (personnage non joueurs). Ces personnes jouent des rôles imposés par l’organisation et aident à la dynamique du jeu. Ils lancent des quêtes, occupent des postes clés pour guider les joueurs, informent l’organisation de la progression des scénarios, jouent des ‘monstres’ pour donner des ennemis à occire aux joueurs, bref, donnent du corps à l’univers créé par les organisateurs.

Q : Comment expliques-tu qu’il y ait toujours plusieurs musiciens ? Est-ce parce que tu choisis uniquement des jeux médiévaux ?

R : Il y a effectivement plus facilement des musiciens dans les GN médiévaux ou medfan, mais je ne pense pas que ça soit l’univers choisi qui soit en cause. En réalité, on retrouve plus volontiers des musiciens dans les Mass LARPE, c’est-à-dire les GN accueillant des centaines de participants. Et de tels événements choisissent le plus souvent un type d’univers le plus polyvalent possible : donc souvent du medfan. Ce qui signifie qu’ils ne sont pas du tout historiques et se pensent en termes d’agglomérats d’imaginaires collectifs. La base est souvent médiévale, mais on peut y tolérer selon les univers de la piraterie, des lansquenets, des mousquetaires, etc. Et dans ces imaginaires fusionnés, la musique a tout à fait sa place, le folk en particulier, lui-même inspiré du passé mais pas rigoureusement historique. Et ce format mass LARP,
dispose souvent de scénarios moins denses donc sont plus propices au jeu d’ambiance.

Et s’il y a de plus en plus de musiciens dans ce genre de GN, je pense aussi que ça répond à un encouragement des organisateurs. En effet, nombre d’entre eux apprécient l’immersion que la musique offre à leur événement et la privilégient. Certains vont jusqu’à monter une scène avec sono, des chapiteaux et y invitent des groupes de musique correspondant à l’univers. Par exemple du rock pour du post-apocalyptique, de l’électro pour du cyberpunk, un bagad pour un monde celte… D’autres organisent leur GN autour d’un petit bal folk en l’honneur du mariage de deux personnages importants. D’autres organisateurs encore créent des mécaniques de jeux spécifiques aux musiciens et artistes. Il existe des GN où ce sont les ménestrels qui font et défont les réputations des factions. Ils composent des chansons autour d’actes héroïques ou diffamatoires qui se sont passés en jeu, puis vont les chanter partout sur la plaine pour propager les nouvelles. Ces derniers sont donc craints et reçus comme des rois où qu’ils aillent. D’autres organisateurs offrent des petits bonus à tout événement de plus de « x » personnes autour d’un ou plusieurs bardes. Parfois de la musique ou des chants ont certains pouvoirs magiques qui soignent ou donnent des bonus au combat. Dans tous les cas, la musique améliore les relations diplomatiques entre factions, peut vous donner un statut privilégié, devenir un réel outil de propagande, ou peut même devenir la clé de votre survie en milieu hostile ! Parfois, des groupes de musique ou des
chorales se montent spécialement pour un jeu de rôle.

Q : Pourrais-tu donner un ou deux exemples des instruments qui étaient présents à tel ou tel jeu ?

R : « Ragnarok larp » est un excellent exemple de mass LARP où la musique est mise en avant. De nombreux musiciens ou petits groupes y viennent spécialement pour jouer sur les scènes. Vielle à roue, nyckelharpa, violons, guitares, bouzoukis, cornemuses, percussions… Puis il n’est pas rare de voir des déplacements de troupes au son du violon, d’entendre les tambours de guerre résonner ou de voir des musiciens se rassembler qu’offrent le jeu sur ce genre de rassemblements. Les factions y ont même parfois leur « identité musicale » grâce aux musiciens qui composent un répertoire spécifique à leurs factions. Des hymnes sont écrits et chantés pour accueillir les délégations étrangères, pour célébrer une victoire, ou simplement chantés en choeur au coin du feu en soirée.

Pour l’anecdote, dans un de mes premiers gros GN, j’ai intégré une faction où je ne connaissais absolument personne. A la première réunion, en faisant connaissance avec mes nouveaux camarades, l’un d’entre eux a dit «j’aimerais jouer un ménestrel et composer des chansons, même si je débute un peu en la matière». Nous avons commencé à jouer ensemble et Christian, l’autre musicien, a composé des tas de chansons pour le jeu. «La Bande à Urbain» a continué encore des années après la fin du dernier GN et nous
avons même joué aux Anthinoises.

Q : À l’intention de ceux qui n’ont jamais joué et qui seraient intéressés :
– Peuvent-ils participer une première fois pour essayer, sans costume ?
– Comment font-ils pour s’inscrire à un jeu : y a-t-il des pages Facebook ?
– Peux-tu donner quelques références de jeux ? (leur nom Facebook ou adresse web, …)

R : Malheureusement, le plaisir des joueurs en GN est principalement l’immersion dans un autre univers. Les personnes qui viendraient en tant qu’observateur sans costume briseraient immédiatement cette immersion.

J’ai envie de conseiller à tous ceux qui seraient curieux de découvrir le monde des GN de ne pas hésiter à entrer en contact avec des rôlistes et directement demander à
intégrer une faction. En effet, le plus souvent, tout se fait dans un climat bienveillant, les factions mettent un point d’honneur à intégrer systématiquement un pourcentage de nouveaux venus. Vous y trouverez des conseils, de l’aide pour vous équiper, des gens pour veiller sur vous si vous avez peur de ne pas comprendre tout de suite toutes les règles…

Pour ceux qui ne connaissent vraiment personne, ils peuvent s’inscrire à un petit GN en tant que ‘PNJ’ (personnages non-joueurs, au service du scénario) et ainsi tester plusieurs types de jeu tout en découvrant les coulisses d’une telle organisation. Aucune préparation n’est nécessaire hormis la lecture des règles, on vous fournit bien souvent intégralement votre équipement, vous pourrez suivre plus facilement d’autres PNJ en tant qu’observateur…

C’est comme ça que j’ai débuté avec l’asbl Baltéria, il y a plus de 10 ans, et qui continue d’ailleurs à organiser des GN. Ils veillent à ce que chacun ait un large choix de rôles, d’équipement, en respectant le rythme et les appréhensions de chacun. Ils m’ont vraiment permis de prendre mes marques et de découvrir l’univers en douceur.

 


 

Le plus souvent, un site web ou une page facebook est l’outil privilégié pour se tenir au courant de l’actualité des GN. Plusieurs asbl sont actives en Belgique, certaines

proposent de véritables petits bijoux. En voici quelques-unes :

www.etencore-asbl.org/
lestraverses.be/
balteria.be/
www.ragnaroklarp.be/fr

Et si vous voulez en savoir plus en général, voici la vidéo d’une copine française qui explique aussi un petit peu ce qu’est le GN. Sa chaîne peut vous apprendre plein de
petites choses très utiles pour bien débuter ou comprendre un peu mieux ce qu’est un GN : www.youtube.com/watch?v=D8ppXQSb7ws

Contact Isabelle Pêcheur : Les Cuirs du Reflet, tél +32 494 30 91 61
Cuirsdureflet@gmail.com
Facebook : @cuirsdureflet, Instagram : cuirsdureflet

 

(Cet article a paru dans le Canard Folk d’avril 2021)