FRANCOISE LEMPEREUR est connue pour ses travaux de collectage en Wallonie depuis 72. Elle est membre de la Commission royale belge de folklore, mais aussi journaliste,ce qui rend son interview très facile !

C’est à l’université de Liège, où elle étudie la philologie romane et la musicologie, que son professeur d’histoire de la musique la pousse à entreprendre un travail sur la chanson wallonne, ce qui n’avait jamais été réalisé auparavant.

Ainsi, durant l’été 72, alors qu’elle est encore étudiante, elle lance une série d’enquêtes sur la chanson wallonne grâce aux émissions wallonnes de la RTB-radio de Liège.

Un quart d’heure par semaine, elle explique une danse (un vieux cramignon par exemple), passe des disques, chante elle-même en s’accompagnant de la guitare et demande aux gens de la province qui connaissent d’autres chansons de lui écrire.

Ce sont surtout des vieux qui lui écrivent, des vieux qui n’ont pas la télévision et pour qui la radio est le principal instrument d’animation. Elle se rend chez eux en bus ou en stop et les enregistre.Elle parvient ainsi à rassembler 672 documents et les monte sur des bandes qui sont actuellement accessibles sur demande à la discothèque provinciale de Liège. Un disque a également été produit: en 2.000 exemplaires, avec RTC et la province de Liège qui lui payait ses frais d’enquête.

Il s’agissait là du premier coup de sonde dans une région limitée. Auparavant, Paul Collard avait bien fait un tel travail vers 50-54 avec les gens de l’INR, mais surtout en Flandre et dans les grosses bourgades wallonnes.

Françoise Lempereur est résolument pour la transmission orale des chansons: il vaut mieux les enregistrer que le noter, dit-elle. En effet, certains interprètes chantent faux, d’autres adoptent un rythme libre, où la barre de mesure est inconnue… Le notation ne sert qu’à analyser.

Après l’université, elle est engagée à la RTB: mi-temps aux Émissions wallonnes de Liège et mi-temps à l’Émission folk Contraste-Soir d’abord avec Richard Kalisz puis avec Michel Gheude.

Mais elle reproche à ces derniers de faire du folk dans une option politique et de ne toucher ainsi que des intellectuels, alors qu’elle veut garder tout son public: les vieux ne sont pas d’extrême-gauche. Elle claque alors la porte, et s’engage à temps plein dans les émissions wallonnes de Liège.

Elle poursuit le collectage en compagnie de Claude Flagel, le vielleux bien connu, et fournit ainsi la matière première des disques du CACEF (centre d’action culturelle d’expression française,regroupe les centres culturels des 4 provinces et demie). Tous ces disques, sauf le premier, font entendre des interprètes populaires: aussi bien des fanfares que l’accordéoniste Elisabeth Melchior, par exemple.

Ainsi se concrétise en 78 un projet commun RTB-CACEF d’enquête sur la chanson enfantine, pas nécessairement vieille, mais non-commerciale. Cette enquête-concours dure 6 mois, permet de récolter 1.454 chansons différentes et donne lieu à deux disques dans la série « Anthologie du folklore wallon ». Elle s’adressait aux moins de 12 ans et aux plus de 60 ans, de manière à toucher deux générations de chansons enfantines.

Au début, les enfants chantaient en direct sur antenne, mais ça a très vite foiré: les appels téléphoniques étaient trustés par des gens, les enfants étaient obligés de chanter et chantaient n’importe quoi n’importe comment.Par contre, ce système avait marché à Contraste-Soir pour les chansons sociales et historiques

Elle va donc enregistrer les gens chez eux, et les repasser ensuite sur antenne. C’étaient souvent des gens sans télévision qui se manifestaient (pas de TV pour ne pas perturber les enfants dans leus études, entre autres) et qui eux-même renseignaient d’autres personnes.

Le concours a été remporté par une dame de Lantin de plus de 60 ans qui a recueilli 220 chansons après avoir consulté ses vieilles copines de classe et des institutrices.

L’année suivante, en 79, Françoise Lempereur propose de faire passer à la TV chaque jour une séquence de trois minutes consacrée à la chanson enfantine. En prartique, ça dégénère en un mélange de tous genres de chansons, certains voulant imiter des « vedettes » .

Sa dernière émission pour la radio se situe en 80, avec « Antenne-soir Magazine » (actualités et folklore).

Puis elle se consacre uniquement à la TV. Déjà en 78, elle s’occupait de « A chacun sa musique » qui durera 3 saisons sur Télé 2. Une demi-heure par mois, des interprètes populaires amateurs étaient invités: surtout des fanfares et des chorales. Peu de musiciens se sont manifestés.

Un violoneux cependant était venu d’un village proche de la frontière allemande, où le quadrille des Lanciers se danse encore et où un orchestre (avec des instruments modernes) joue encore d’anciens airs lors des fêtes de village. Cette émission reprendra en octobre prochain.

Actuellement elle est temps plein à Télé-Tourisme, où elle filme un maximum de manifestations populaires mais non dirigées sur la musique.

Elle projette une action de collectage de la chanson d’amour traditionnelle , qui pourrait se faire un quart d’heure par jour sur la deuxième chaîne radio, qui est la chaine populaire par excellence.nPeut-être encore un concours, de manière à lancer un mouvement. De toute façon il faut se dépêcher, dit-elle, car les témoins disparaissent vite.

Les disques du CACEF eux, sont actuellement au point mort. Le dernier, sorti en 61, était consacré à la communauté wallonne du Wisconsin. Cet arrêt est lié aux problèmes financiers de la ville de Liège: auparavant en effet, le musée de la Vie wallonne achetait à l’avance 1.000 disques, ce qui permettait de payer les frais. Aujourd’hui, on cherche un coproducteur. Avis aux intéressés !

Pour terminer, quelques considérations sur le collectage. La plupart des collectages ont été mal faits, car les gens n’avaient pas de connaissances suffisantes en la matière.

Ainsi, à l’époque où il n’y avait pas d’enregistreur, on notait les airs d’oreille,,en les déformant. D’autres personnes perturbent les interprètes, les influencent parce qu’ils croient qu’ils se trompent. Mais même si c’est vrai,il ne faut pas le dire.,Il suffit de demander à l’interprète une heure plus tard de chanter la même chose, et comparer ….

Françoise Lempereur s’occupe uniquement de la diffusion des airs . Ensuite, dit-elle, on en fait ce qu’on veut: je ne suis pas interprète, je ne prends pas parti.

Mais ce qui la choque, c’est que certaines personnes publient des airs harmonisés pour piano et accompagnés d’une description chorégraphique, avec droits d’auteur sur L’harmonisation et la chorégraphie, mais présentés comme traditionnels. Libre à ces personnes de faire une œuvre avec droits d’auteur, dit-elle, mais que ce soit au moins nettement séparé du matériau traditionnel !

Marc Bauduin

 

(article paru dans le Canard Folk de mars 1983)