Cette rubrique se veut ouverte, de bric et de broc, à tout fouineur amoureux de la tradition musicale, chantée et dansée de nos régions.

Comme autant de loupiotes allumées aux fêtes et kermesses, comme autant de brandons réchauffant les veillées, puissent ces traces de nos ménétriers nous éclairer sur notre patrimoine musical populaire.

Ce patrimoine qui, fatigué de dormir dans les musées, se veut accessible à tous, et en constante évolution pour une pratique contemporaine.

Tradition vivante : La Troïka de Saint-Mard

Printemps 1848 : « La nouvelle de la révolution de Paris atteint nos régions dans les derniers jours de février. Le drapeau rouge flotte sur les villes françaises frontalières, mais le calme y règne. L’Echo du Luxembourg rend compte des émeutes parisiennes, bien qu’il ne sache pas encore que la république a été proclamée. Une rumeur se répand alors dans les villages frontières, qui voudrait que Léopold I ait abdiqué et gagné l’Angleterre. La nouvelle est fausse, mais le drapeau rouge sera hissé à Virton et à Saint-Mard. Certains cabarets résonnent de chansons républicaines et des individus parlent d’arracher les bornes frontières. »

C’est à cette époque mouvementée que François-Joseph Jamin rédigea son carnet de contredanses gaumaises à Meix-devant-Virton ; c’est à cette époque aussi que Joseph Mangin de Lamorteau, marchand de partitions et d’instruments de musique, faisant commerce avec Paris, fit venir des clarinettes, des cornets à piston et des trombones mais aussi des feuillets d’airs à danser ; Quadrilles, Scottiches, Varsoviennes, Polka- Mazurkas. C’est à cette époque qu’est née La Troïka? Le Congrès de Vienne avait partagé l’Europe de Napoléon en de multiples régions. Mais durant toute cette période de négociations intenses, le Congrès dansait beaucoup. Ces nouvelles danses venant de l’est et à qui on donnait, par un effet de mode des titres et appellations rappelant les succès des anciennes divisions de l’armée de l’Empereur déchu, étaient appelées Polonaise, Varsovienne, Troïka, Mazurka, Redowa et bien sûr Polka.

Eté 2000 : à Saint-Mard, le dernier mardi du mois d’août, lors de la fête locale, a lieu chaque année le rassemblement le plus étonnant de l’histoire de cette petite localité gaumaise faisant partie de l’entité de Virton.

Jeunes et moins jeunes se réunissent autour du kiosque à musique sur lequel trône la fanfare locale

pour y danser, la Troïka, le Quadrille et la Polonaise. A midi, après avoir écouté le discours du Maître Jeune-Homme et du Maire, on entonne la Brabançonne, la Marseillaise et la Troïka et cette célébration ne cessera que vers 16 heures, après avoir bien mangé et bien bu et surtout fait l’inventaire des anciens Saint-Mardois expatriés un peu partout en Gaume ou ailleurs mais qui, laissant là leur besogne journalière, reviennent danser leurs danses.

Voici l’air de la Troïka qui se danse en d’énormes cercles de couples devant et autour du kiosque.

farf

Mais à quoi tient donc cet engouement pour cette danse assez simple et dont les pas sont à la portée de tous. ? Il s’agit en fait d’un air de Scottiche sur lequel les danseurs exécutent une figure très à la mode vers 1850 et qui appartient à la même famille que le Pas de Quatre, le Pas des Patineurs, l’Ayeroplane , la Coquette? Main droite dans la main droite, main gauche dans la main gauche, le bras du cavalier passant derrière le dos de la cavalière, c’est dans cette position qu’on exécute un pas de polka vers la gauche, un pas de polka vers la droite, un talonné du pied gauche et, en pivotant d’un quart de tour vers la droite, un talonné du pied droit ?

Il est vrai que l’on ne sait pas grand-chose au sujet de la mélodie qui rassemble tous ces danseurs. Supposons qu’elle a été choisie au hit-parade des scottiches comme hymne local en 1956 quand « La Jeunesse » saint-mardoise à remis cette danse à l’honneur. Rendez-vous est pris pour vous tous pour venir danser la Troïka avec tous les habitants de Saint-Mard l’an prochain, le dernier mardi du mois d’août.

Walter et Jacqueline Lenders

(article publié dans le Canard Folk en octobre 2000)