Vous connaissez peut-être les anciens accordéons diatoniques Callewaert, appelés aussi Lichtervelde, du nom de la localité où ils étaient fabriqués jusqu’à la dernière guerre. Ce sont de véritables monstres, volumineux, pesants, mais joliment décorés, et ça vous sort un de ces sons !

Le grand-père Callewaert, joueur d’accordéon, a commencé à les produire vers 1880-1885. Ses 10 ou 12 ouvriers, qu’il payait environ un franc par jour (ce qui était bien pour l’époque) fabriquaient tout eux-mêmes, y compris les ressorts et les lames qui étaient découpées dans des plaques d’acier.

Ces instruments étaient vendus pour environ 300 francs, principalement sur le marché belge. Callewaert était d’ailleurs un des rares fabricants belges d’accordéons. Il y a bien eu Sabatini, mais ça c’était plus tard, nous dit monsieur Callewaert numéro 3, petit-fils de l’autre, à part ça …

A noter que plusieurs revendeurs d’accordéons faisaient apposer leur nom sur les instruments qu’ils importaient, généralement d’Italie, mais ce n’étaient pas des fabricants !

Pendant que la fabrication restait ici artisanale, ailleurs elle devenait industrielle. La concurrence allemande devenait particulièrement vive, au point que Callewaert n°2 décida, lors de la dernière guerre, d’arrêter la production. La main-d’oeuvre coûtait trop cher !

Peu avant, en 1939, l’usine Hohner lui avait d’ailleurs proposé d’être importateur exclusif pour la Belgique. Il avait accepté. Le siège a ensuite été transféré de Courtrai à Bruxelles, mieux situé géographiquement.

C’est là que nous avons rencontré monsieur Callewaert n°3, dans son petit atelier où il répare et accorde les … accordéons !

Et les affaires marchent bien, oui. Jadis, une promotion originale était réalisée par l’usine allemande : deux orchestres faisaient des tournées un peu partout dans le monde. L’un était composé de 40 à 50 joueurs de diatonique (le chef jouait sur un diatonique à 5 rangées !); l’autre, formé de joueurs de chromatique, avait un répertoire de musique classique. Il fut un jour invité au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Aujourd’hui, seul un quintette existe.

Si la clientèle s’est diversifiée (il y a 25 ans environ, des centaines d’accordéons à 10 touches et 4 basses étaient vendus aux noirs du Congo belge), la production s’est aussi internationalisée.

Les Chinois se sont lancés dans la bataille, mais leurs accordéons très légers ne tiennent pas le son : ils se désaccordent en 15 jours ! Le matériel d’Allemagne de l’Est est aussi de mauvaise qualité. Les Argentins copient le diatonique Hohner depuis qu’un fils d’un patron de cette firme est parti là-bas y installer une usine. Ce ne sont que des exemples.

L’essentiel du travail consiste à accorder les lames et à remplacer les peaux qui leur sont superposées. Mais n’allez pas croire que notre homme utilise l’électronique ! L’accordage se fait à l’oreille, avec le diapason comme seule référence. De temps à autre, lorsqu’il hésite, il compare avec un sommier témoin.

L’oreille s’acquiert avec l’expérience, bien sûr. Et de plus, Callewaert connaît la musique : il a fait dix ans de solfège et de piano (à partir de l’âge de sept ans), puis six ans d’accordéon chromatique. Il jouait uniquement de la musique classique, comme son père d’ailleurs.

– L’accumulation de poussière sur les lames suffit à faire baisser le son. Il n’est pas pour autant conseillé de brosser soi-même les lames : si cette opération est facile pour les lames extérieures, elle est plus délicate pour les intérieures … et pas question évidemment de ne brosser que la moitié d’entre elles !

– Qu’est-ce que l’accordage musette ? Dans le musette à trois voix, il y a une voix juste, appelée « unisson », une autre accordée légèrement au-dessus (qui produit une vibration, un battement) et une dernière à l’octave grave. Dans le musette à 4 voix, il y a en plus une voix légèrement inférieure à l’unisson.

– Pourquoi faut-il remplacer les peaux ? « Il y a justement ici un exemple, tiens. Vous voyez ça ? Eh bien, je vais souffler dans le sommier et vous allez entendre ce que ça fait ».

En effet, quand les peaux s’écartent des plaquettes métalliques sur lesquelles sont fixées les lames – autrement dit, quand elles « crollent » – on entend un frrrt caractéristique (et désagréable) qui se mêle au son habituel. De plus, cela occasionne une perte d’air, donc l’instrument sonne moins fort.

Généralement, du côté de la main droite les « peaux » sont en fait des languettes de plastique. Du côté des basses, où les dimensions sont plus grandes, on conserve l’ancien système des peaux car celles-ci sont plus solides que le plastique.

– Arrive-t-il que des lames cassent ? Oui, ça arrive de temps en temps. Les lames rivées à la machine cassent plus facilement que les autres, probablement parce qu’elles ont été soumises à une plus forte pression.

Il est plus simple et moins cher de remplacer la plaquette entière; pourtant Callewaert remplace parfois seulement la lame cassée et en rive une nouvelle à la main sur la plaquette, en enfonçant le clou peu à peu, en ayant soin de vérifier qu’elle est bien centrée.

– Est-il vrai que les accordéons chromatiques sont construits avec plus de soin et sont plus solides que les diatoniques ? Non, nous répond-il. Les lames des chromatiques résistent mieux, mais ce n’est pas en raison de la qualité : c’est dû au fait que les chromatiques ont plusieurs voix. Chaque lame vibre donc moins fort et souffre moins. De plus, le joueur peut sélectionner certaines voix et en éliminer d’autres : toutes les lames ne sont donc pas tout le temps en service. Enfin, on joue souvent d’une manière moins brusque sur un chromatique que sur un diatonique.

– D’après vous, la meilleur lame c’est … ? « Pour moi, une des meilleurs lames c’est Bugari. Elle est rivée à la main. Mais il y a 4 ou 5 ans, elle coûtait déjà 200 F pièce ». Si ça ne vous décourage pas, voici l’adresse : P.O. Box 77, 660022 Castelfidardo (Ancona), Italie. (N.B. meilleur est ici synonyme de solide).

– Enfin, par pure curiosité, une question sur le modèle haut de gamme en chromatique. Il a neuf rangées de basses : les six habituelles où on obtient des accords composés à l’avance, plus trois rangées de basses dites « chromatiques », c’est-à-dire que par bouton on obtient une seule note au lieu d’un accord. Son prix : 220.000 F !!

Marc Bauduin

(publié dans le Canard Folk n°5, mars 1983)