„Mangez, amis, buvez, dansez, enivrez-vous d’amour !“
C’est l’invitation de Luc Jucquois. Il avait dit „quand mes jambes ne me porteront plus pour danser, je rejouerai d’un instrument“. Il n’en a pas eu le temps. Un dernier WE de setdancing passionné et passionnant au lac de Zürich ce mois de juin 2019 et le premier jour de l’été fut le premier jour de la fin.
Il fut, il est, mathématicien, philosophe, informaticien, musicien, danseur et voyageur. On a retenu son humour singulier qui passe toutes les frontières. Ce n’était pas de simples jeux de mots mais une disposition d’esprit et du corps, un sens de la dérision, une manière de vivre et un parti pris de considérer la situation sous des jours inhabituels…mais bien réels.

Sa musique : Il fredonnait à tout moment, prenait plaisir à inventer, deuxième, troisième, quatrième, dixième voix en dansant ou en conduisant sa camionnette. Il avait enregistré STO MI E MILO à 4 voix en superposant 4 fois sa propre voix. Guitare, flûte, harmonica, synthétiseur ou violoncelle, ses rapports à l’instrument étaient trop fantaisistes pour ne pas irriter les sévères professeurs de l’académie.Ils ne connaissaient pas de lui sa rigueur, ses recherches méthodiques pour trouver la bonne mélodie, le bon enregistrement, sa manière de décrypter une danse, l’analyser dans les moindres détails avant de l’enseigner.

La danse était son oxygène. Impossible de raconter tous les périples, voyages, séjours en ex-Yougoslavie (l’île de Badiya se souvient encore du lit pliant de nos enfants bravant les vagues), en Roumanie (invité par le ministère de la culture au temps de Ceaucescu), en Grèce (face à la statue de Bouboulina et Spetsès), en Floride (entre crocodiles, pélicans et chorégraphes), en Irlande (merveilleux Connemara et Galway à ses pieds), en Australie (Gulgong et la Saint Sylvestre dans la rue ou sur la plage de Bondi), en Israël (où Luc eut sa première fracture de fatigue à force de danser nuit et jour), à Halifax (avec les descendants irlandais et écossais des réfugiés du Titanic), à Ottawa (et son enivrant festival grec), à Vleeteren et à Dunkerque (où l’on logeait dans la camionnette malgré le froid, la neige ou la pluie) etc..etc.. comme dirait Pablo Neruda..

Submergée de souvenirs, j’aimerais encore cependant raconter une anecdote qui explique la photo de Luc à la télévision.
Pâques dans les années 70. Le groupe de danse Carmagnole organise une émission à la RTBF. Les prises de vue sont interminables. Le(s) cameramen garde l’objectif fixé sur Luc pendant tout le générique. C’est le Doiul à 3, danse de la région du Banat en Roumanie. Nous partons en Angleterre pour y trouver les agneaux les plus mignons et les meilleurs œufs de Pâques. A notre retour, Luc va à la petite épicerie de La Hulpe. Il entend la musique de Doiul. La commerçante entre dans la boutique, regarde Luc l’air étonnée. L’émission venait justement de passer en différé ! Heureusement, le père de Luc regardait la télévision chez lui et n’a pu résister à le prendre en photo. Il était resté si longtemps à l’écran… mais… pas assez près de nous.

Mai 1940, Luc avait deux mois. La guerre est déclarée et sa famille française de 7 enfants fuit en camion vers les parents restés sur la Loire.
Mars 2020, Luc nous quitte. Le monde connaît une pandémie que tous tentent de fuir grâce au confinement. Nul n’échappe à son destin ?

Monique Jucquois-Delpierre