ou encore :

Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ?

Interview de Marie-Hélène et Julien Maréchal

Né à l’IMEP (Institut Royal Supérieur de Musique et de Pédagogie, à Namur) en 2018, le Projet Melchior rassemble des éléments de la tradition orale en Wallonie, les répertorie, les offre en consultation, essaie de favoriser leur pratique et leur réinvention, développe des outils pédagogiques…  Depuis 2022, il organise des enquêtes de terrain – autrement dit : des collectages. L’équipe a su attirer des subsides wallons qui lui ont permis de s’agrandir et de construire un site web en permanente évolution.

Tout cela foisonne d’idées, au point que les visiteurs peuvent avoir un peu de mal à suivre l’évolution du chargement des données ou le planning d’apparition de nouvelles fonctionnalités. On ne voit toujours pas de « project roadmap » claire qui dirait  » où en sommes-nous, quels sont nos buts à plus ou moins long terme, quelles sont les étapes intermédiaires ». On se demande par exemple si on arrivera à définir les principales caractéristiques de la musique wallonne alors que les vétérans disparaissent les uns après les autres… Ceci sans aucunement vouloir rejeter sur Melchior les manquements du passé. Vu que le projet a ses propres contraintes liées entre autres à l’obtention d’importants subsides, on ne s’étonnera pas si le choix des priorités ne correspond pas nécessairement aux souhaits de certains spécialistes  (*).

D’ailleurs, ne leur demandons-nous  pas la lune en mettant trop d’espoirs dans cette magnifique aventure qui jusqu’il y a peu semblait inespérée ? La journée de rencontre du 26 septembre, bien sympathique, n’a bien sûr pas pu répondre à toutes les questions. Le Canard Folk a poursuivi la discussion avec deux piliers du projet : Marie-Hélène et Julien Maréchal, qui malgré un emploi du temps fort chargé ont pris la peine de répondre par écrit à mes questions qui ont connu plusieurs versions. Qu’ils en soient remerciés.  Et bravo à toute l’équipe  !!!

 (*) Cela ne devrait pourtant pas empêcher de fixer des dates de premières interviews avec une série de personnes facilement identifiables qui ont des choses à dire sur les attaques et les doubles cordes au violon, la pose des temps en lien avec la musique autrichienne, les relations avec le jeu de certains chalumeaux italiens, l’usage éventuel d’une anacrouse, la différence entre l’atmosphère d’un manuscrit et celle d’un bal réel, la manière de rendre une mélodie légère et sautillante, l’exécution d’un pas de maclote…  Walter Lenders, Louis Spagna, Albert Rochus (liste non limitative !) nous ont quittés trop tôt, mais peut-être leurs veuves, famille et amis peuvent-ils nous informer ?

Marc Bauduin

 PS 1 : envie de réagir, de commenter ? Contactez le Canard Folk par e-mail à info@canardfolk.be

PS 2 : le mois prochain nous tenterons de comparer quelques parties du texte ci-dessous avec l’avis de quelques scientifiques inattendus

Quel nom donnez-vous à cette musique wallonne ?

Dans le cadre de Melchior, on utilise le terme « musiques traditionnelles de Wallonie ».  A cet intitulé, on a décidé de donner une définition assez large. Pour nous, ce sont toutes les musiques qui ont fait l’objet d’une transmission orale intergénérationnelle, sur le territoire de l’actuelle Wallonie.

Pour être complets, on aurait dû ajouter un critère de plus à cette définition, à savoir le sentiment, pour ses détenteurs, que cette musique fait partie de leur identité culturelle. Mais c’est un critère très complexe, subjectif, invérifiable pour la plupart de nos archives. On n’aurait donc jamais pu l’utiliser, dans le cadre de Melchior : comment savoir si telle ou telle chanson fait partie de l’identité culturelle de la personne collectée ? On se serait perdus.

On a donc décidé de s’en tenir au double critère géographique et d’oralité. Dès qu’une pièce remplit ces critères, elle est englobée automatiquement. Nous n’opérons aucune autre sélection. Cela signifie que la question de l’origine des morceaux, si complexe, n’a pas d’importance pour nous. Du répertoire aux origines françaises côtoie ainsi des pièces en dialecte qui semblent être davantage des créations locales. On a aussi du répertoire récent aux auteurs bien connus. Tant que ça s’est transmis en Wallonie dans l’oralité, on prend.

Dans la définition d’une musique traditionnelle populaire, accepte-t-on n’importe quel instrument ?

L’instrument n’est pas vraiment un critère pour nous. De toute façon, l’usage des instruments n’a cessé d’évoluer au fil du temps. Quand l’accordéon est apparu au 19e siècle, il venait de l’étranger. Or, aujourd’hui, on le considère plutôt comme un instrument traditionnel : personne n’estime qu’Elisabeth Melchior ne joue pas de musique traditionnelle.

Depuis combien de temps cette musique doit-elle exister ?

A nouveau, ce n’est pas vraiment un critère pour nous. Tant qu’une pièce s’est transmise oralement entre générations, elle entre dans notre objet. Par exemple, on est allé collecter récemment dans le village d’Alle-sur-Semois une série de chansons qui avaient été écrites dans l’Entre-deux-Guerres par un instituteur du village. Ces chansons ne sont donc pas bien vieilles, mais elles ont été rapidement reprises par tout le village et ont vécu dans l’oralité : on les chantait lors des fêtes du village, aux match de foot, à la sortie de l’église, les enfants les apprenaient par imprégnation, etc. Quelques habitants du village les chantent encore aujourd’hui. C’est donc du répertoire assez récent, mais qui remplit tous les critères que nous nous sommes fixés.

Accepte-t-on aussi des compositions qui sont dans le style trad ?

Non, pas pour l’instant. Entendons-nous : le fait de composer fait partie intégrante de ce que sont, aujourd’hui, les musiques traditionnelles, nous en sommes convaincus. Elles les font évoluer et participent à leur réinvention. Mais cela n’entre pas dans le cadre actuel de Melchior : ce qu’on cherche, c’est sauver de l’oubli, transmettre et faire vivre le répertoire reçu en héritage via les collectages.

Ta question est très intéressante, car elle touche à l’une des limites actuelles de Melchior : notre travail se concentre pour l’instant sur les archives sonores des musiques wallonnes, donc sur le répertoire collecté. On ne travaille pas – ou peu – sur les ajouts actuels, les compositions qui émanent des musiciens de bal folk, etc.

C’est précisément l’un de nos objectifs pour les années qui viennent : travailler aussi sur la partie vivante et actuelle des traditions musicales de Wallonie. Promouvoir la musique reçue en héritage, c’est très important, mais il ne faudrait pas que ça se fasse en déconnexion avec la création actuelle. L’un et l’autre forment un seul et même ensemble.

On voudrait donc que Melchior puisse être aussi une structure de soutien et de rencontre pour les musiciens qui pratiquent aujourd’hui les musiques traditionnelles de Wallonie et les font vivre. Dans le milieu des bals folk, mais pas seulement. Il y a pas mal d’autres endroits où la musique vit et se transmet dans l’oralité : marches de l’entre-Sambre-et-Meuse, arguèdènes, carillons, carnavals, etc. Cela demande des moyens supplémentaires, on est en train d’y travailler.

Idem pour les arrangements : nous avons des arrangements modernes dont on n’avait pas encore idée à l’époque…

C’est indispensable que ça existe : il faut faire vivre les musiques traditionnelles, et ça passe notamment par des arrangements en phase avec les esthétiques de notre époque.

Comme dit précédemment, on voudrait que Melchior puisse être aussi une structure de soutien et de rencontre pour ces musiciens qui pratiquent aujourd’hui les musiques traditionnelles de Wallonie et les font vivre.

Puisqu’il n’y a pas de danse sans musique et que la majorité des airs wallons sont pour la danse, Melchior inclut-il la danse traditionnelle populaire dans ses centres d’intérêt ? Quelle notation de la danse va-t-il utiliser ?

Oui bien sûr. On est justement en train de réfléchir à des projets autour de la danse. C’est vrai que jusqu’ici, on s’est beaucoup axés sur la chanson, pour des raisons pédagogiques, mais aussi parce que les collectages wallons sont composés à 80 % de chansons. Mais, en tant que musiciens folk, on a à cœur de développer le volet « instrumental » de Melchior. Bien entendu, ça passe par la danse, qui y est indissociable.

On travaille notamment à réaliser et/ou numériser des collectages de danse. Il n’y aura pas de notation : comme on le fait déjà avec le son, on livrera la source de manière brute, ici au format vidéo.

Peut-on simplifier certaines danses de manière à ce qu’elles puissent être expliquées assez rapidement en bal et les rendre ainsi plus populaires auprès d’un public qui pense surtout à s’amuser ?

Pour nous, les deux doivent exister : il est important de pouvoir enseigner les danses dans leur complexité, au plus proche du collectage, avec leurs impulsions propres et leurs multiples variantes. C’est indispensable pour ne pas risquer de perdre une partie de la richesse de ce patrimoine. Mais il faut aussi accepter qu’elles puissent évoluer et prendre différentes formes selon les contextes. Dans certains cas, oui, cela peut passer par une simplification (même si on n’aime pas trop ce mot), dans le style ou dans la chorégraphie. Il faut être réaliste, à notre sens : si on maintient un niveau d’exigence inflexible, de peur de trahir les danses, on risque de passer à côté de leur réappropriation.

Va-t-on délivrer des « certificats » ou « labels » aux groupes de musique pour indiquer dans quelle mesure ils sont capables (et acceptent) de se produire avec des musiques traditionnelles populaires wallonnes ?

On n’a certainement pas l’autorité pour dire qui est capable ou non de jouer ces musiques. Donc, un certificat dans le sens gage de qualité, non. Par contre, bien sûr qu’il faudrait un jour créer un label ou un collectif qui rassemble et fédère tous les musiciens actifs dans les musiques traditionnelles de Wallonie, comme le fait par exemple l’AEPEM en France. Mais à voir si c’est à Melchior à faire ça. Ce serait assez réjouissant que cette initiative vienne d’autres personnes, en fait.

Quelles sont les spécificités  (et les caractéristiques qu’elle partage avec d’autres musiques traditionnelles populaires) de la musique wallonne ?

Vaste question. Si tu veux parler de caractéristiques musicales ou stylistiques, là, franchement, on ne se risquerait pas à y répondre. D’abord car il n’y a pas une musique wallonne, mais plusieurs : on sait à quel point ce territoire est une mosaïque. Ensuite parce qu’il faudrait que le sujet soit travaillé en profondeur par des musiciens et/ou des musicologues. C’est un chantier sur lequel, d’ailleurs, on aimerait tenter de susciter des vocations.

Après, au niveau des formes, il y a des éléments qu’on peut déjà mettre en valeur et qui sont propres à la Wallonie : les ptitès danses ardennaises, les cramignons, certaines chansons calendaires liées à des traditions locales, les paskeyes, les Noëls, etc. Et puis, il y a les langues régionales, wallons, picard, champenois, qui produisent forcément des pièces qui ne pourraient pas exister ailleurs.

Quels moyens veut-on utiliser pour populariser ces spécificités et caractéristiques ?

Ils sont multiples, mais le principal nous semble se situer au niveau pédagogique. C’est en apprenant ces musiques dans leur richesse et leur diversité, à l’école, en académie, en ASBL, en stages, qu’on pourra susciter leur réappropriation. C’est sur ce terrain-là que Melchior est le plus actif. Mais on n’est pas les seuls : au niveau de la danse, par exemple, il y a pas mal de choses qui se développent aujourd’hui, ce qui est très réjouissant.

Il faut également encourager la création artistique autour de ces musiques. Plus des musiciens se saisiront de ce répertoire, plus la dynamique se renforcera. Il suffit de voir l’engouement créé par certains groupes-phares français, comme la Machine ou Ciac Boum. Ils participent à renouveler l’image des musiques traditionnelles. Et ça ne concerne pas que le folk : des artistes venus d’autres horizons musicaux commencent à s’intéresser aux répertoires traditionnels de Wallonie, ce qui est une très bonne nouvelle.

Est-ce à Melchior à mener ce chantier de soutien à la création? Pour l’instant ce n’est pas dans nos missions, mais pourquoi pas y participer un jour. A nouveau, cela dit, ce serait sans doute plus riche que d’autres que nous prennent cette tâche à bras le corps. Le live radio organisé par Didier Mélon et Le Monde est un village le 7 septembre dernier, à ce titre, constitue une fabuleuse amorce et un signal fort venu d’un service public.

Comment pourrait-on développer l’interactivité du site ?

Dans la nouvelle version de la plateforme, on a essayé de booster cette interactivité, au niveau de la carte géographique, du lecteur audio, des listes de favoris via un compte personnel, des parcours musicaux, etc. On essaie aussi d’être à l’écoute des retours et propositions des utilisateurs, via le formulaire de contact, mais aussi via notre compte Facebook.

Bien sûr on pourrait aller encore plus loin dans l’interactivité, par exemple en rendant le site plus participatif. Mais c’est une option complexe, qui demande encore pas mal de réflexion.

Va-t-on nouer des partenariats avec des associations ou institutions wallonnes ou autres ? Dans quel but, sur quel genre de sujets ?

On a déjà quelques partenaires : Musée de la vie Wallonne, Musée de folklore de Mouscron, Sonuma, Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin, Brabants Centrum voor Muziektradities. On est aussi en contact régulier avec Folknam Musique Trad, l’International Council for Traditions of Music and Dance et plusieurs autres structures.

Ces partenariats se nouent au gré de nos projets et de nos rencontres, quand on se rend compte qu’il y a intérêt à mettre quelque chose en commun.

Dans ce domaine, on aimerait aussi un jour pouvoir intégrer une plateforme internationale consacrée aux musiques traditionnelles. Notre système de données a été conçu dans cette éventualité.

www.projet-melchior.be/

www.facebook.com/projet.melchior.imep