Banjo anglais de l’ère ‘minstrel’… – Photo : Gérard De Smaele, avril 2025

Avril 2025. C’est un immense privilège que de pouvoir s’immerger, sans barrière, durant plusieurs jours, dans la plus prestigieuse collection de banjos à cinq cordes des États-Unis. J’avais déjà connu ce plaisir durant l’été 1983, quelques mois avant l’ouverture de Ring the Banjar, la première grande exposition de l’ “America’s Instrument” au MIT de Cambridge[1]. Plus de quatre décennies plus tard, on peut s’attendre à ce que la collection de James Bollman, bien que déjà impressionnante à l’époque, ait encore bien prospéré.

Pour mémoire, revenons un peu vers l’American Banjo Museum à Oklahoma City, OK :
www.desmaele5str.be/pdf/archives/The-American-Banjo-Museum.pdf

Durant ces longues années, James Bollman est continuellement resté à l’affut des pièces les plus significatives, les mieux conservées, les plus rares, les plus abouties du premier âge d’or de la fabrication du banjo américain à cinq cordes. Basé dans la région de Boston – siège des anciens ateliers de Fairbanks & Cole, Fairbanks, Cole, Luscomb, Vega, Bay State, Bacon…-, l’ancrage de cette collection privée s’avère donc être un choix judicieux, qui reflète parfaitement l’atmosphère de la production du banjo dit ‘classique’ autour des années 1900 : une recherche de qualité, voire de perfection. On nous fera remarquer qu’il y avait aussi les fabricants de New York, Philadelphie, Chicago, mais Boston avait, en ce qui concerne les ‘high end instruments’ ou ‘presentation banjos’, d’indéniables atouts dans son jeu : d’habiles artisans, ayant amené le raffinement des décors à un stade encore jamais atteint, destinés à une clientèle huppée. Dans le chef de James Bollman, collectionner ces instruments relève clairement d’un art à part entière, mais aussi d’une stratégie visant à graduellement augmenter la qualité de ses acquisitions.

Encore faut-il en avoir les moyens ! D’aucuns se seraient mis dans une situation financière périlleuse[2], mais tel un conservateur de musée, loin de se laisser submerger par sa passion, James restera calmement maître du jeu. Co-fondateur en 1974, à Lexington, du Music Emporium, qui sera durant plusieurs décennies une plaque tournante du négoce des banjos anciens, il y officiera pendant 35 années. Dans cet incessant trafic de ventes et d’achats de milliers d’instruments, il put ainsi écumer le marché et se réserver au passage les meilleures pièces.

Ne devient pas expert qui veut. Se documenter, répertorier, s’organiser et se fixer des objectifs cohérents sont les démarches fondamentales de tout collectionneur[3]. Le banjo à cinq cordes ayant connu un long déclin depuis l’entre-deux guerres mondiales, ces instruments furent longtemps délaissés par les musiciens et se trouvèrent parfois à vil prix chez des brocanteurs, voire les pawn shops.

L’intérêt sera ravivé dès les années 1960 par le folk revival. À l’issue d’incessantes recherches et d’investigations – un travail de pionnier, également mené par Dick Kimmel, Mike Holmes (éditeur de la revue Mugwumps), Elias Kaufman (éditeur de la revue The Five-Stringer), et plus tard par Peter Szego, Hank Schwartz, Shawn McSweeny… -, James Ballman n’en est cependant pas resté là.

L’étape suivante consistera à faire partager ses découvertes. Tout d’abord par la publication – en partenariat avec Phil Gura – de The Banjo in the Nineteenth Century (The University of North Carolina Press, 1999) ; par sa part prise dans la fondation de la ‘Banjo Gathering’ ; ainsi que dans sa participation à la plupart des grandes expositions de banjos montées depuis lors aux États-Unis.

Les dernières en dates lui seront spécialement consacrées : Strummin’ on the Banjo in Nineteenth-Century America à la Suzanne H. Arnold Art Gallery, Labanon Valley College en 2001 ; The People and the Sounds of America’s Folk Instrument, présentée au National Heritage Museum de Lexington en 2001[4] ; Reflexions Of Our Past : The Jim Bollman’s Collection à l’American Banjo Museum en 2019 ; et Banjos from the Jim Bollman Collection au Lyman Allyn Art Museum en 2022-2023.

Résistant aux offres alléchantes d’Akira Tsumura, de rachat de sa collection, des photos de la collection de J. Bollman ont finalement pris place dans les deux livres de l’éminent collectionneur Japonais : The Tsumura Collection (1984) et 1001 Banjos (1993).

Exposition à Lexington, MA. Photo : Gérard De Smaele, 2001

 

www.lymanallyn.org/americas-instrument/

www.wbur.org/news/2019/04/17/banjo-project-digital-museum

folkways.si.edu/conversations-with-north-american-banjo-builders-vol-3-conversations-with-banjo-historians-dvd/old-time/video/smithsonian

Après avoir mis en lumière les plus précieux banjos de l’ère ‘minstrel’ et classique, son grand regret est d’avoir manqué l’acquisition du chef d’œuvre du joailler italien Icilio Consalvi (Italie/1865 – Boston/1951), une perle rare ayant nécessité trois années d’un travail minutieux. Ce ‘King Banjo’ initialement conçu pour être présenté à la World’s Columbian Exhibition de 1893 ne fut cependant terminé qu’en 1895. Il emportera une médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris de 1900, un grand prix à la Pan-American Exposition de Buffalo en 1901, et sera par la suite encore exposé au Cristal Palace de Londres en 1902 et à la World Fair de Saint Louis en 1904. Après être resté dans les mains de la famille de l’artiste, il sera finalement offert en 2006 au Museum of Fine Art de Boston (inv. 2006-1928). Ce qui aurait pu être le Saint Graal de la collection de James Bollman lui filera malencontreusement entre les doigts. Si cette dernière reste toujours bien vivante – UPS vient encore de sonner à sa porte -, son futur reste encore à ce jour un grand point d’interrogation. Il faut dire qu’elle prend de la place. L’avenir nous en dira plus.

collections.mfa.org/objects/485783/banjo;jsessionid=403E1A4BF429FEB813B8A19ADF293F56

Gérard De Smaele

Le 30 avril 2025

www.desmaele5str.be

 

En 2017, l’ABM lui décernera un “Jack Canine Award”, une marque de reconnaissance mettant en évidence le travail de toute une vie dédiée au banjo à cinq cordes et à son histoire. Photo : Gérard De Smaele.

 

[1]     Elias Kaufman. “Ring the Banjar! MIT Museum Opening.” The Five-Stringer, Spring issue, 1984, # 153.
[2]     Pour de bons conseils aux collectionneurs, voir :
Eugène Rouir. L’estampe : valeur de placement. Conseils aux amateurs et collectionneurs. Paris : G. Le Prat, 1970, 221 p. : Gérard De Smaele. La cheval bleu : du vélocipède à la bicyclette. Paris : L’Harmattan, 2018, 412 p.
[3]     Idem. Note 2.
[4]     Banjo Show Through Aug. 2002. Museum of Our National Heritage. The Five-Stringer, Winter 2001-2002, # 187.