CF 23 (novembre 1984)

Jan Smed

Le groupe flamand Jan Smed fête actuellement ses quinze ans d'existence, tout comme 'tKliekske dont nous parlions le mois passé. C'est en effet en octobre 69 que Wim Bosmans, son frère Luc, Charlie Vandenputte, Francis Marrant et sa soeur Marie-Thérèse donnèrent leur premier concert, à l'école de Woluwé St Pierre.

C'est à Boortmeerbeek, en Brabant flamand, qu'a au lieu l'interview. Wim Bosmans y habite depuis trois ans. Venant de Woluwé St Lambert en passant par Leuven, il s'est vite intégré dans ce village : ''les gens sont ouverts, dit-il, d'autant plus qu'on joue de la musique. On nous a demandé de jouer à l'école, à l'église, pour les vieux..."

Wim Bosmans s'occupe également d'émissions de musique folklorique ou folk à la BRT, et travaille également au Musée Instrumental.

Q: Commençons par la question classique : comment le groupe s'est-il formé ?

R: Nous habitions tous dans le même quartier de Rodebeek. Un des professeurs du collège n'était autre que Egide Vissenaekens, l'actuel contrebassiste du Brabants Volksorkest. Il nous parlait de la musique traditionnelle et du groupe De Vlier qui débutait alors, en 68 et dont il faisait partie.

J'ai assisté à une de leurs premières répétitions. Puis, les élèves ont invité De Vlier à l'école. C'est ainsi qu'est né notre intérêt pour ce genre de musique.

Moi, de mon côé, j'ai tout de suite cherché, collecté de la musique - j'avais 16 ans à l'époque, c'était en 69 - dans ma famille : d'abord en Campine, dans la région de Lier, puis à Woluwé, où j'ai recueilli les chansons traditionnelles de mon arrière-grand-père.

Notre premier répertoire était donc composé d'une part de musique instrumentale et de danses comme De Vlier en jouait, et d'autre part de chansons.

Q: Comment ce répertoire a-t-il pu évoluer ?

R: Après quelques années nous avons trouvé beaucoup de musiques de danse, notamment du XIX siècle. Nous avons concentré nos efforts sur les anciens joueurs de bal : nous avons pu en contacter quelques dizaines.

Des carnets de bal d'environ 1900, ont fourni- des renseignements précieux. Ces musiciens étaient soit professionnels (clarinette, accordéon diatonique) soit amateurs (épinette, accordéon diatonique, flûtes ...)

Leur répertoire était composé de danses de couples du XIX siècle (polka, valse, scottish, mazurka), de quadrilles et de "kleindanskes". Ces kleindanskes étaient généralement dansées seulement dans les cafés, dans les sociétés (colombophiles, etc) lors de leurs fêtes annuelles qui avaient lieu en hiver.

Elles n'étaient guère dansées dans les bals ordinaires: en effet, dans ces bals, les musiciens étaient souvent payés par danse. Ils commançaient à jouer l'air puis, arrivés à la moitié de la danse, ils criaient "Halven dans !", se faisaient payer et recommençaient à jouer.

Reste encore à voir ce qu'on veut dire par "modernisation". Introduire un synthétiseur dans l'orchestre ne signifie pas actualiser la musique. C'est vrai pour tous les genres de musique, que ce soit du traditionnel ou du Beethoven.

La musique n'est pas une question d'instruments : on peut très bien jouer du traditionnel à la guitare, comme par exemple Martin Carthy. D'autre part, il existe aussi une certaine mentalité d'après laquelle il faudrait à tout prix compliquer la musique. Ca n'a pas de sens.

Mais je peux dire que j'ai du respect pour les Musiciens Routiniers par exemple, car ils ont une connaissance approfondie de la tradition qui leur sert de base pour construire une nouvelle musique.

Q: Lors de tes collectages, as-tu constaté l'existence d'un style flamand ou brabançon ?

R: Non. Pas du tout. Il n'existe pas de style musical typiquement brabançon, ni même flamand. Ce n'est qu'une variante régionale d'un style propre au nord-ouest de l'Europe. Pour les danses je suis moins catégorique, car je ne suis pas spécialiste.

Q: Revenons à Jan Smed : comment le public a-t-il évolué en quinze ans ?

R: Le public est maintenant plus hétérogène : ce ne sont plus seulement des groupes de danse qui organisent les bals. Les gens savent aussi mieux danser.

Au début, ce genre de musique constituait une nouveauté : les gens écoutaient donc au lieu de danser. Pendant les cinq premières années, nous n'avons fait aucun bal. Les bals sont venus surtout après 75.

Les kleindanskes par contre, sont des danses faites avant tout pour s'amuser. S'arrêter en plein milieu casserait inévitablement l'ambiance. On les dansait donc surtout dans les sociétés, car les musiciens y étaient payés par soirée. C'était par exemple la danse du balai, la kuskedans, la klepperdans, Mieke Stout, Jan Smed ...

Notre groupe ne fait pas de quadrilles ni de danses compliquées : surtout des polkas, valses, scottish, mazurkas, kleindanskes et quelques danses étrangères. C'est un répertoire surtout brabançon, mais du fait qu'il s'est élargi, nous n'avons que l'embarras du choix : on prépare le programme avant la soirée.

On joue bal pendant trois ou quatre heures sans problème, sans jamais rejouer un même morceau, et sans pause. De plus on ne joue pas très souvent : une vingtaine de fois par an, ce qui fait qu'on n'a pas l'occasion de se lasser du répertoire !

Q: Comment procédez-vous pour mettre en route un nouveau morceau ?

R: En général, c'est moi qui propose le morceau aux autres : ça leur plaît ou ça ne leur plaît pas. Le cas échéant, je cherche les accords avec Francis, on aboutit ainsi à la partition pour la basse. Ivo et moi, nous nous partageons les deuxièmes voix. Dans tous les cas, nous restons dans les limites de la tradition.

Q: N'es-tu pas tenté par une certaine modernisation ?

R: Je ne me sens pas capable d'améliorer la tradition. Il faut dire qu'au point de départ, la raison d'être du groupe est un retour aux racines. Il est déjà difficile de retrouver maintenant ce qu'était la tradition. Il ne s'agit pas de la perdre à nouveau ! D'où l'utilité de rester traditionnel. Il n'empêche que notre musique sonne mieux qu'avant ...

Peut-être aussi les difficultés financières des organisateurs (maisons de jeunes, etc) ont-elles poussé à raréfier les concerts. Actuellement nous faisons donc surtout des bals et des animations; parfois un concert, et dans ce cas le répertoire est légèrement différent, on y inclut quelques chansons.

Q: Qu'en est-il des contacts avec les groupes de danse ?

R: Nous avons de bons contacts avec les groupes à répertoire flamand, qu'ils fassent partie de l'une ou l'autre fédération. En Flandre, les groupes de danse et le milieu folk se mêlent assez bien.

En fait nous jouons une musique marginale, mais qui peut plaire à tout le monde car elle invite les gens à participer. Nous avons joué pour un peu tous les milieux : populaire, noblesse, businessmen, tout le monde danse ! Contrairement au rock, à l'opérette ou au musette...

Q: Vous utilisez un système d'amplification ?

R: En général, non. Nous préférons jouer sans installation électrique, si c'est possible. La plupart du temps, cela ne pose aucun problème. On distingue nettement l'épinette parmi les autres instruments, par exemple. Cela sonne plus naturel. Une amplification électrique ne reproduira jamais le véritable son de nos instruments.

Q: Ca vous arrive de jouer en Wallonie ?

R: Très peu. Nous n'avons joué que six fois en Wallonie. C'est tellement rare que je me souviens des lieux : Neufchâteau, Mont St Guibert, Hemptinne, Court St Etienne, Ottignies, Wégimont. Nous jouons plus souvent en France !

Pourtant nous aimerions jouer en Wallonie. Peut-être est-ce l'occasion de lancer un appel : un petit week-end en Ardenne nous tenterait !


Le groupe est composé de Wim Bosmans (flûtes), Ritteke Demeulenaere (épinette, percussions), Ivo Lemahieu (violon, cornemuse), Francis Marrant (accordéon diatonique, deuxième violon) et Charlie Vandenputte (contrebasse). Il a publié trois disques, dont le dernier est encore disponible, en nombre limité, chez Wim Bosmans.