CF 22 (octobre 1984)

Renaat Van Craenenbroeck

Renaat Van Craenenbroeck : vous le connaissez par ses stages de "technique de base de danse populaire", peut-être aussi par son groupe De Lange Wapper qui, chaque année à mi-Carême, exécute la danse des Epées devant la cathédrale d'Anvers.

A Neufchâteau, le stage qu'il anime avec l'aide du vigoureux accordéoniste Modest Vercauteren se termine chaque année par des applaudissements. Il est présent également àBorzée. J'ai voulu en savoir plus sur ce Flamand qu'on voit souvent, avec plaisir, en Wallonie.

- Quand as-tu commencé à danser ?

- C'était en 58. Il existait déjà des grupes de danse depuis tout un temps, mais ces groupes exécutaient surtout des danses internationales. En fait, cette époque voyait un véritable boum des groupes folk se dessiner en Flandre.

- Un boum qui se produisait également à l'étranger ?

- Il est peut-être bon de faire un peu d'histoire. L'intérêt pour la danse traditionnelle n'est pas né partout au même moment, bien entendu. Cela a commencé en Suède vers 1900, avec des maîtres de ballet qui s'intéressaient surtout à l'aspect "gymnastique" de cette danse. Une danse populaire devenait alors une véritable chorégraphie.

A peu près au même moment, en Allemagne, les Wandervögeln (sorte de mouvement de jeunesse, organisateur de randonnées notamment), avant et après la guerre de 14-18, reprirent ce goût scandinave des danses populaires. Ils dansèrent d'abord des danses scandinaves, puis des danses allemandes.

C'est vers 1930 que les socialistes néerlandais et les nationalistes flamands (Vlaams Toeristen Bond, scouts) se mirent de la partie : ils créèrent leurs premiers grouces de danse et leurs premières fédérations.

Sans doute furent-ils en partie influencés par les premiers congrès internationaux de la danse folklorique, qui se tinrent à cette époque. Ces congrès considéraient la danse d'un point de vue scientifique : ils s'intéressaient aux corporations de paysans. Les danses de ces corporations constituèrent le premier répertoire flamand.

Il s'agissait d'une part de quelques danses faciles bien connues telles que Mieke STout et Jan Smed; d'autre part, Josef Doms avait publié un recueil de danses qui étaient non seulement difficiles mais de plus mal décrites, et ce recueil fut vite épuisé.

En conséquence, les groupes flamands adoptèrent un répertoire plus facilement accessible, prioritairement étranger : danses allemandes, danoises, suédoises, contredanses anglaises, qu'ils exécutaient presque comme des exercices de gymnastique.

Des groupes coexistaient donc avec les corporations de paysans, et aussi avec des fanfares qui, surtout dans le Brabant, animaient des fêtes dansantes.

- Et donc, en 58, le groupe De Lange Wapper se crée ...

- Notre but était de faire plus de danses flamandes. I fallait donc en rechercher. Mais le collectage était assez difficile à cette époque : vers 58-60, les villages étaient encore assez fermés aux étrangers.

J'ai eu la chance de rencontrer Hubert Boone dans les années 60. Nous avons fait du collectage ensemble, lui se chargeant de la musique et moi de la danse. Un résultat de cette recherche a été la publication d'un livret "Dansen uit Middens Brabant".

Nous avons donc travaillé ces danses dans le groupe De Lange Wapper, qui est ainsi devenu un groupe de démonstration de 68 à 72. Nous étions environ 25 personnes à nous réunir régulièrement à Anvers.

En 72, nous avons obtenu le troisième prix du festival de Llangollen (Pays de Galles). Ceci constitue une performance, car deux groupes belges seulement y ont jamais récolté un prix (l'autre groupe étant la corporation de Neder-Over-Hembeek).

Puis j'en ai eu assez des démonstrations. C'est toujours le même problème : des amateurs croient tout connaître parce qu'ils font des démonstrations, et donc ne viennent plus aux répétitions.

Nous avons donc cessé de nous produire, à une exception : celle de la danse des Epées, chaîne traditionnelle de garçons que nous exécutons chaque année à la mi-Carême devant la cathédrale d'Anvers (l'année prochaine, ce sera la seizième fois).

- As-tu constaté un style commun de danse en pays flamand ? Comment as-tu procédé ?

- Ce n'est pas simple d'observer un style de danse. On arrive à une fête dans un village qu'on ne connaît pas; il y a plein de gens sur la piste, jeunes, vieux, certains qui font des variantes, d'autres pas ... Qui faut-il regarder? C'est impossible de suivre tous les danseurs en même temps !

Nous demandions donc aux gens qui était le meilleur danseur. En général, il y a quelqu'un qui est le bon danseur du village, qui peut se permettre de faire des variantes. Nous le regardions donc danser tout au long du bal, et prenions des notes.

Finalement, après avoir visité pas mal de villages, j'ai constaté qu'il existait un certain style commun, un style qui emploie l'entièreté du corps, et qui fait apppel à une espèce de vibration du pied. Bien sûr, ce style n'est pas propre à la Flandre : on le trouve aussi en France et en Autriche, par exemple ...

- C'est donc ce style que tu enseignes dans tes stages ...

- Oui. Après 72, avec le restant du groupe De Lange Wapper, nous avons travaillé cette technique de la danse de couples, sans faire de démonstrations. Cela a duré 4 ou 5 ans. Pendant cette période, je me suis également intéressé à la pantomime et à la notation des danses.

Et en 77, j'ai donné mon premier stage à Neufchâteau, un stage de danses flamandes. Cela m'a donné l'occasion de rencontrer des gens. Deux ou trois ans plus tard, j'en suis arrivé dans mes stages à la formule actuelle : le travail du style dans les danses par couples, ce qui est nettement plus exigeant que dans les autres danses.

- On te voit assez souvent dans la partie francophone du pays. Qu'en est-il de tes stages en Flandre, et éventuellement aux Pays-Bas ?

- Jusqu'à présent, les stages ont plus de succès en Wallonie. En Flandre, ils commencent seulement à être acceptés.

Beaucoup de gens sont prêts à apprendre des figures de danse, mais peu veulent apprendre la danse elle-même, la technique. Le problème peut être délicat, si parmi les ''élèves" figurent des moniteurs qui n'ont pas évolué ... Ce travail est mieux compris dans le milieu folk que dans les groupes de danse.

Quant aux Pays-Bas, nous y avons peu de contacts : le mouvement y est en effet fort différent. Il y a moins de groupes de danses traditionnelles régionales, et plus de groupes de danses des Balkans, par exemple.

- Pour terminer : que fait De Lange Wapper actuellement ?

- Nous faisons plus de créations sur base de mélodies du 19e siècle ou du début du 20e, nous faisons des danses plus gaies. Depuis une bonne année, nous rencontrons aussi de l'intérêt en Flandre. Et bien sûr, nous continuerons à exécuter annuellement la danse des Epées à Anvers. La fois prochaine, ce sera le 17 mars, avec un groupe tchécoslovaque.