Anthologie du Folklore wallon - vol. 7 "Les Wallons d'Amérique (Wisconsin)" (fm 33010)

Les enregistrements ont été réalisés au Wisconsin en octobre 1980, suite aux contacts pris par Françoise Lempereur dès 1973 auprès des chanteurs les plus réputés de la colonie wallonne. Les hasards de l'enquête nous ont fait découvrir encore d'autres informateurs. Tous seront présentés au fur et à mesure du déroulement du disque.

Al Chansons surla boisson. Elles sont chantées par Alfred Vandertie, patron cafetier à Algoma et Léonard Lampereur (43 ans), fermier à Namur où il conduit aussi le bus scolaire.

Chanteur réputé, Alfred Vandertie, aujourd'hui septuagénaire, est issu d'une famille de la région de Charleroi, les "Vangindertalien", patronyme simplifié en "Vandertie" par l'administration américaine.

a) Nos-èstans quités po l'Amérique, vraisemblablement chanson de circonstance pour le départ des immigrants, est sur le timbre "La faridondon, la faridondaine" qui remonte au moins au 17e siècle et fut un des plus prolifiques de la francophonie. Elle est chantée par Alfred Vandertie.

b) Au ciel i-n'a pon.y (d') bîre est une adaptation de la chanson américaine "No beer in heaven" (Frank Yankovic - Joe Trolli) due à Alfred Vandertie (qui l'interprète) et à Cletus Bellin (voir face B5).

c) Dji v'va raconter l'ëstwêre... ne semble pas posséder d'antécédent en Wallonie. Ce type de texte assonancé, poésie plus que naïve, est courant dans la tradition orale. L'origine est souvent locale et bien difficile à retrouver.

d) Timps d'èraler est une chanson due à Gustave Craybeek, de Marcinelle, et lancée lors d'une cavalcade à Marchienne-au-Pont au profit d'une société folklorique la Sôciètè dès Lonkès Pipes di têre. Elle a folklorisé dans le bassin de Charleroi. Le refrain pré-existait dans le Borinage, le Centre, les Pays de Charleroi et de Namur, le Brabant Wallon et l'Entre Sambre et Meuse. Alfred Vandertie ne retient que le premier couplet de la version originale.

A2 C'èstl'cafè part d'une chanson composée en 1854 par Charles Wérotte avant qu'il ne devienne président de la Société Royale Moncrabeau qu'il dirigera de 1858 à 1870 (voir Anthologie n°2). Le timbre "C'est l'amour, l'amour..." qui a servi pour diverses chansons dialectales à Liège et à Namur avait été mis à la mode par Béranger en France et Antoine Clesse en Belgique. La version chantée ici par Alfred Vandertie n'emprunte que le refrain aux antécédents wallons. "Li grande fièsse di Brussèle" est une des principales kermesses des Wallons du Wisconsin.

A3 N'av' nén vèyu mi p'tit musicyin? est chanté par Arthur Renard, agriculteur à Marchand. Nous l'avons découvert lors de l'enquête. Il anime les fêtes locales sous le nom de "Zeke" et promène alors son "One Man Band": une grosse caisse, un charleston, un accordéon diatonique (2 rangs, 8 basses - il en joue depuis l'âge de 17 ans), un harmonica et un kazoo (mirliton). Son répertoire compte des pièces purement américaines à côté du répertoire wallon ou... wallonisé. La chanson, connue dans la banlieue de Namur, en Hesbaye, dans l'Entre Sambre et Meuse a fourni à Zeke sa musique et son premier couplet. Le reste est peut-être dû à l'interprète lui-même.

A4 Badinages, chantés par Alfred Vandertie et Gladys Etienne (voir A5).

a) Tant qu'i-n-a dèl bîre è pot est un refrain bacchique très répandu en Wallonie, peut-être issu de la chanson "Djan Colinète" du chansonnier namurois Xavier Bodart (1835-1901). Le refrain a folklorisé plus à l'ouest qu'à l'est. Le héros y est Jean Godinette, jeu de mot sur le nom du gobelet : la godinète. Et lès djon.nès fèyes d'asteûre qu'enchaîne ensuite Alfred Vandertie n'est pas attesté en Wallonie, pas plus que la chanson de Gladys Etienne: b) Onz-e-st-âyûris. Par contre c) Pou la l'bout, est connu en Hesbaye namuroise et en Condroz. L'air est celui des "Filles de St Denis" de H.L. Blanchard (1778-1858), compositeur français qui fut chef d'orchestre au Théâtre des Variétés de Bruxelles vers 1823. d) On djoû en riv' nant di(s') Prêle: l'original est dû à Nicolas Boiron (1779-1857) de Charleroi, avec le double titre "En r'vènant d'Lausprèle, tchanson pus guéye qui bèle" et "Chanson de Monsieur de la Bourlotte". Il a folklorisé jusqu'à Liège et Revin (Ardennes françaises). Alfred Vandertie emprunte à la version wallonne les vers 1 à 4 du 1er couplet, 5 à 8 du 3e ainsi que le refrain. Le reste semble propre à la tradition des Wallons du Wisconsin.

A5 Mi fèye (av)ot frwèd... est chanté par Gladys Etienne-Féron, de Green Bay. Joviale sexagénaire, elle a gardé quelques chansons wallonnes du répertoire de sa grand-mère. Elle joue aussi de l'harmonica. La chanson, bien attestée dans toute la francophonie, met en scène un âne (et non une fille) à qui "Madame" fait faire des vêtements dont la liste s'allonge à chaque couplet. La chanson a patoisé entr' autres dans le Boccage vendéen et à Namur où ce sont les djârtîyes (jarretières) et non la brayète (braguette) qui portent une "flotche".

A6 Enfantines. C'est une série de chansons pour amuser, faire jouer, endormir les enfants, plus une comptine et une ronde. Les interprètes sont : Josie Wautlet de Kewaunee, Alfred Vandertie (voir A1), Gertrude Charles, fermière, femme de Joe Charles (voir B2), Lema Lampereur (71 ans) mère de Léonard Lampereur (voir A1), Madonna Boulanger (voir B2).

a) Bim'boum'! Quî c'qu'èst mwârt?, chanté par Josie Wautlet, est une formulette répandue dans toute la Wallonie dialectale. La version du Wisconsin appartient au sous-type namurois. Une version de Sart-Bernard était donnée dans l'Anthologie volume 5-6, document 43.

b) Tralala, botroûles di via, formulette à la pluie chantée par Alfred Vandertie, n'est pas attestée en Wallonie.

c) Loup' a loup' su li spiria, sauteuse bien connue autour de Namur et dans le sillon Sambre et Meuse, chantée par Gertrude Charles. Une version de Pondrome constitue le document 36 duvolume 5-6 de l'Anthologie.

d) Djîy, djîy au moulin, dont l'incipit semble propre au Wisconsin est une notation chantée Par Alfred Vandertie du thème précédent contaminé par celui du cheval au nez (ou au cul) tout pelé d'avoir trop mangé de vieux seigle (ou de blé). On en trouvera plusieurs exemples dans la plage A9 de l'Anthologie, volume 5-6.

e) Poûcet, laridèt, une risette sur les 10 doigts, ce qui est rare, chantée par Josie Wautlet. Elle entremêle des désignations descriptives : laridèt (arrière doigt, soit l'index) couteau (altération de courteau, l'annulaire) à des dénominations animistes : Poucet (le pouce, personnage du conte), Djan dé Stau (Jean du sceau, l'annulaire) grande Diame (la Dame) plus une amorce de dramatisation par le jeu du petit doigt qu'on agite et fait crier. Une version luxembourgeoise porte le n°17 dans le volume 5-6 de l'Anthologie.

f) Cadèt Russel, chanté par Lema Lampereur est un couplet d'une version dialectale de la très célèbre chanson française Cadet Roussel, très à la mode pendant la 1ère République, due au vaudevilliste Aude qui l'écrivit sur un air de contredanse des années 1780-90. C'est une réfection de Jean de Nivelles, type de niais créé dès le 15e siècle. Le timbre a beaucoup servi pour des chansons anecdotiques et historiques, dialectales ou non.

g) Nânez, bébé padjot, est une berceuse bien connue dans le Brabant Wallon, au Pays de Liège et en Ardenne. La notation la plus proche de celle que chante ici Josie Wautlet est celle de Grez-Doiceau.

h) Berceuse. "«Mi p'tite bauchèle" est une improvisation de Madonna Boulanger.

i) Quîc'qu'îrè aus fayèmes?, version abrégée d'une ronde à se retourner dite "des groseilles", attestée du pays de Charleroi à la Hesbaye et au Condroz liégeois, par Lema Lampereur.

j) Bonjour, Catérine, que chante Alfred Vandertie, n'est pas connu en Wallonie. Ce type de texte, courant dans l'ouest de la France et le Canada, sert souvent,à la polka piquée qu'on pourrait bien danser sur notre chanson. L'invitation à danser suivie d'un refus se retrouve aussi dans "La Bastringue", danse québecquoise.

A7 Pîron n'vout nén danser... est chanté par Betty Bultman-Rouer, fille de cafetiers et serveuse. Elle la tient de la marraine de sa marraine (c'est-à-dire son arrière-arrière grand-mère). La forme dialectale remonte au 18e siècle et la forme française est plus ancienne. Sa mélodie a entr'autres porté les paroles du Noël "Joseph est bien marié". En Wallonie, on la chante en dialecte, de Malmédy à la région de Comines. C'est peut-être la chanson la plus souvent citée lors de notre enquête.

A8 Moqueries. Il s'agit de six textes, souvent naïfs, qui mettent en évidence le caractère moqueur propre au monde rural wallon. Ils sont chantés par Alvina Fontaine (voir A9), Alfred Vandertie, Gladys Etienne, Ivan Draize (voir B10) et Goldie Derenne, agent d'assurances à Luxemburg.

a) N'avouz nén vèyu Piêre ?,chanté par Alvina Fontaine, est une scie populaire répandue en région namuroise. Son origine (au 19e siècle) est restée inconnue.

b) Quand dj'èstos p'tit, est une chanson enfantine très répandue en francophonie. Deux formes fondamentales, l'une décente: "je regardais les filles, monté sur un banc", et l'autre indécente "je montrais mon cul à tous les passants" coexistent dans les versions françaises et dialectales. La version d'Alfred Vandertie appartient au type décent.

c) C'è-st-one canaye, mi frère Henri, chanté par Gladys Etienne, est une adaptation du refrain de la chanson liégeoise "C'èst dès canayes, fré Hinri", due à Jean-Pascal Rousseau (1817-1882) dont l'air a servi de timbre à de nombreuses chansons dialectales en région liégeoise et namuroise.

d) Quand dj'èsteûve on p'tit gamin, chanté par Ivan Draize, ne semble pas avoir d'antécédent wallon.

e) Di-st-i, met en scène des personnages de la communauté wallonne en employant un procédé qu'on trouve tant en français, en anglais, en breton, en néerlandais que dans divers dialectes. L'incise comprend chaque fois le verbe dit suivi du sujet qui est un nom propre rimant ou assonançant avec la déclaration rapportée. La série des déclarations s'enchaîne pour relater une anecdote. La narratrice est Alvina Fontaine, alerte septuagénaire.

f) Rotez au Walhain, chanté par Goidie Derenne, n'est pas attesté en Wallonie. L'air n'est pas sans rappeler le célèbre Noël anglo-américain "Jingle bells".

A9 Le jardin de Martin Plicotin est chanté par Alvina Fontaine. Passionnée de travaux manuels (peinture sur céramique, broderie, crochet, tricot) elle connaît nombre de chansons dont cette curieuse version cumulative qu'on trouve dans de nombreuses traditions (française, néerlandaise, allemande, danoise, anglaise, espagnole, bretonne et bien sûr wallonne). Ses formes sont très variées : ronde, formulette de jeu, comptine et même conte. La présente notation, probablement française à l'origine, a été transformée par son utilisation dans la communauté dialectale des Wallons d'Amérique qui ne parlaient pas le français.

A10 Dji m'fou d'ça, dj'a dès canadas, interprété par Arthur Renard dit "Zeke" et sa fille Dayen Bader.

Le refrain a été noté en Wallonie, à Fosses-la-ville, dans une version très proche de la nôtre et à Morlanville où le texte précise : pour passer l'ivîer avè tos mès pourcias (pour passer l'hiver avec tous mes pourceaux). Le thème mélodique est proche d'une scottishe connue dans toute la francophonie.

FACE B

Bl Pou-dj' bén vos tchanter mi tchanson? est à l'origine due à Charles Wérotte (1795-1870) avec comme titre "Li hioupe-hioupe, en se balançant sur sa chaise pendant le dic et daïe". La version d'Alfred Vandertie est simplifiée, car chaque couplet devrait être repris par un choeur. Le 5e couplet est ici perdu.

B2 Devinette. Madonna Boulanger, âgée de 40 ans, est mère de famille nombreuse et exerce le métier de soudeuse au chantier naval de Sturgeon Bay. Nous l'avons rencontrée au hasard de l'enquête et, alors que nous enregistrions la berceuse (A6 h) un voisin Joe Charles de Rosière, septuagénaire, vient lui rendre visite. Il est éleveur de poules et producteur d'oeufs. A part les salutations du début, ce dialogue totalement improvisé, est un témoignage de l'aspect biculturel des wallons du Wisconsin, l'explication du jeu de mot "à deux mains - à demain" se faisant finalement en anglais.

B3 I went to market..., version trilingue d'une chanson bilingue que connaissent bien les canadiens français et que Gilles Vigneault a récemment popularisée. Elle a probablement glissé du Québec au Wisconsin où les tournures wallonnes ont transformé le texte français, langue ignorée de son interprète, Alfred Vandertie.

B4 La fille du geolier est chantée par Lucy Vandertie-Rouer, la plus âgée de nos informatrices (97 ans). Elle est l'une des dernières représentantes d'une génération née au Wisconsin et qui a vécu la vie des pionniers : père charpentier travaillant 6 mois par an loin de Brussels, éducation familiale puisqu'il n'y avait pas d'école. Vivant de la même vie que ses parents, elle a élevé pratiquement seule ses dix enfants apprenant à lire, à écrire, à parler anglais grâce à leur scolarité. Elle tient de ses parents son répertoire où des chansons en français, langue qu'elle ne parle pas, tiennent une certaine place. "La fille du geolier" est bien attestée dans toute la francophonie. Elle remonterait au 17e siècle. Philomène Gehlen (Anthologie n°3) chante une version proche de celle-ci.

B5 Estîz là, quand... (cantique) est la traduction en wallon du célèbre negro spirituel "Where you there, when they crucified my Lord". Elle est due à son interprète, Alfred Vandertie. Le sentiment religieux est très vif chez les Wallons du Wisconsin, mais il ne semble pas qu'un répertoire ait été amené par les immigrants, d'où de nombreux emprunts aux cantiques d'origine étrangère.

B6 Nouvelle agréable (Noël), chanté par Lema Lampereur, est un fragment d'un noël composé sur un air allemand de Nägeli. Le thème musical a servi à la danse en Angleterre sous le titre "Come, let us be joyful". La mémoire de notre informatrice ne nous a transmis que le premier couplet. Elle l'avait appris dans son enfance, au catéchisme.

B7 Qui v's-éstoz grand (cantique), est chanté par Cletus Bellin, 37 ans. Gérant de salon (version wallonne du saloon), il est un chanteur à voix renommé tant dans un répertoire religieux que profane. Il est un des plus jeunes que nous ayons rencontré à parier couramment le wallon. Il chante ici sa propre adaptation du cantique luthérien "How great thou art" de Stuart K. Hine, accompagné à l'orgue de l'église d'Algoma par Dorothy Muench.

B8 Reel, polka et valse au violon joués par Ralph Massart, agriculteur à Rosière, âgé de 69 ans. Bien que ne jouant plus en public, il continue à pratiquer le violon et aussi l'orgue électrique. Les trois pièces qu'il joue ici sont le reel "Soldier's joy", d'origine écossaise qui se répandit au siècle dernier dans toute l'Europe septentrionale et qui, en Wallonie, est considéré comme un prototype de la Matelotte. La polka "Grapevine twist" est un classique américain qui sert également pour danser le quadrille. Quant à la valse, c'est le célèbre "Mocking bird hill" de Horton Vaughn, qui fut populaire il y a une vingtaine d'années dans les variétés françaises sous le titre "La colline aux oiseaux". C'est une valse bien caractéristique du style "Western and Country".

B9 Elle èst byin trop crausse por mi!,estjoué par l'orchestre "The 3 Sharps" auquel participe le chanteur et musicien d'origine wallonne Lester Macco de Dyckesville que de nombreux wallons nous avaient signalé. Nous l'avons découvert en pleine activité, menant le bal dans une auberge de Tonett, pour la kermesse du village. Ses deux comparses sont Kenny Tlachac, accordéon diatonique d'origine tchèque et Joe Delliman, batteur. Lester Macco joue la guitare. Le répertoire de danses de la région est très influencé par la musique tchèque de Bohème, région représentée par une forte colonie jouxtant la colonie belge. La valse, la polka et le jitterburg constituent l'essentiel du carnet de bal des "3 Sharps". La polka jouée ici est connue en Bohème tchèque (d'où elle est originaire) et germanique. Lester Macco la chante "pour les belges" en wallon puis en anglais. Elle est aussi au répertoire d'Arthur Renard "Zeke".

B10 L'air dès Spagnoles po lès Bèlches, square dance sur "Spanish Two Step". Ivan Draize, 60 ans, est réparateur d'appareils radio et télévision. Mais sa réputation est due à son activité de "Caller" de square dances. Il anime avec sa femme, Margaret (née Lampereur), institutrice, des soirées dont certaines se font chez lui, dans le sous-sol de sa maison aménagé en "square dance club".

Etant wallon, il lui vint l'idée d'adapter le vocabulaire américain pour "appeler" les danses carrées en wallon, comme au Québec certains de ses confrères l'ont fait en français. Sur les disques spécialement édités aux Etats-Unis pour cet usage spécifique, il a ainsi composé plusieurs quadrilles, renouvelant le matériel de danses wallonnes par un apport empruntant à ses deux sources de culture. C'est peut-être la meilleure conclusion de cette enquête.