CF 276 décembre 2007

Les Bousineus

Rencontre : Paul Claeys et Kathleen Peereboom 9/11/07

 

Les Bousineus fêtent cette année leur 30ème anniversaire ... et la fin de leur groupe, célébrée ce 2 décembre à la ferme de Holleken. Les Bousineus, dont Paul Claeys est l’un des principaux fondateurs, et les “Bousineus danse”, dont Kathleen Peereboom a toujours été la responsable. C’est l’histoire de danseurs-musiciens, de danseurs qui jouent et qui chantent, de musiciens qui dansent et qui jouent pour leur plaisir. C’est aussi l’histoire d’une découverte des danses belges, et d’une volonté de transmission pas toujours simple à réaliser. Mais c’est aussi une histoire qui commence bien avant les Bousineus, et où le scoutisme joue un rôle important.

 

        M. Bauduin

 Paul ClaeysKathleen Peereboom

Le point de départ

 

La cohésion, la qualité des relations interpersonnelles des Bousineus ont été favorisées dès le départ par le scoutisme, en l’occurrence le scoutisme pluraliste et son groupe ucclois Honneur. Plusieurs traditions de divertissements pour les chefs scouts ont débouché sur la création des Comédiens Routiers (devenus le Théâtre National de Belgique), d’un centre choral (sous diverses appellations) et d’un centre de danse où Kathleen et Paul étaient inscrits comme jeunes chefs. On y faisait des danses allemandes, anglaises, belges, israéliennes et autres, pour le plaisir; et on y a monté de beaux spectacles de danse, comme en 1963 et 1965, au centre culturel d’Uccle.

 

Le centre de danse s’est affilié à la Fédération Wallonne des Groupes de Danses Populaires (future Dapo), mais en restant un peu à côté, en gardant les contacts avec les mouvements de jeunesse. A un moment le centre de danse, faute de chefs, a disparu, mais a été recréé très vite avec l’appoint de gens venus des scouts catholiques; il s’est alors appelé H40 (H pour le groupe Honneur, et 40 car c’était la 40ème année du groupe). En collaboration avec Carmagnole et Farandole, il a monté un grand spectacle de danse au Théâtre National.

 

Le groupe a alors décidé de monter le niveau de ses exigences, en vue de faire des spectacles avec des danses plus compliquées. Ceci dans trois directions : les danses israéliennes (à l’époque très à la mode et valorisantes), yougoslaves (qui avaient été enseignées par un moniteur de la Dapo) et hongroises (car plusieurs avaient fait connaissance avec des réfugiés hongrois de 1956 qui continuaient à faire vivre leur folklore en Belgique). Ce niveau de difficulté technique a eu pour effet que le groupe a toujours compté au moins autant de garçons que de filles.

 

Une scission s’est marquée par le départ des bons danseurs qui ont formé le groupe Hourvari. Paul et Kathleen y sont restés deux ou trois ans. En 1976, ils ont suivi un stage de danses hongroises à Neufchâteau avec M.Novak qui, favorablement impressionné, les a invités à présenter des danses belges au festival international de Szeged en 1977.

 

Des danses belges ? Avec des géants ...

 

Mais les danses belges n’étaient jusqu’alors pas une priorité pour Hourvari, qui les trouvait très fades et lassantes pour les spectateurs qui doivent contempler le dos des danseurs lors de danses en carré ou en ligne. Hourvari a dû créer en une bonne année un spectacle agréable, en y mettant du piment, en ajoutant des éléments du folklore belge comme des Blancs Moussis. Il a conçu et fabriqué les géants Achille et Pélagie, en voulant qu’ils puissent danser. Pas question donc de faire des géants de 100 kg ! Avec une armature en alu de sac à dos, avec du polystyrène, une carcasse en cercles d’osier suspendue aux épaules, on est arrivé à préserver la liberté des bras ainsi que des mouvements au-dessus de la taille. Ce furent beaucoup d’efforts, un travail intense avec de nombreux conflits à surmonter, mais le résultat fut à la mesure : Hourvari, accompagné par Rondinella (le couple Flagel) et son orchestre, récolta un beau succès à Szeged.

 

Après le spectacle ... l’éclatement. Une partie des danseurs continue Hourvari. Paul Claeys, lui, d’une part trouve qu’il a atteint son palier en danse, et d’autre part a pris goût aux musiques et danses belges. Il fonde alors les Bousineus, orchestre de musique folklorique belge, en 1977. La plupart des musiciens sont d’anciens danseurs.

 

Les Bousineus jouent pour des inaugurations, pour les Fêtes de Wallonie, la fête des Fleurs, des animations de quartier, des concerts, quelques bals. Des danseurs, dont Kathleen, les accompagnent avec les géants à la rue Haute et en quelques autres occasions. Et, pour le festival international de danse de Montignac, le groupe “Les Bousineus danse” se forme en 1983. Quatre ou cinq grands spectacles de danse et de musique sont montés à Uccle ou à St Gilles. On participe à des festivals de bon niveau au Puy, en Grèce, en Suisse, en Suède, en général par l’intermédiaire de la Dapo. Les musiciens participent au Brosella, donnent un concert au musée instrumental et sortent un 33 tours en 1987.

 

D’autres activités les intéressent aussi, comme la Farfouille, un théâtre de marionnettes créé par des anciens de Hourvari. Des spectacles communs sont mis au point, tel celui sur Jean de Nivelles, combinant marionnettes, musique et danse, et qui se termine en apothéose au Vauxhall de Nivelles. Cela donne aux Bousineus l’idée de créer complètement un spectacle, son scénario, les musiques, les danses : “Danses, musiques et diableries” est né et, nous dit Paul Claeys : “Sans fausse modestie, on en est encore ébahis : nous avons réussi à faire ça ?!”. Le thème, c’est une rivalité entre le musicien et le diable pour conquérir une petite fille qui joue à la marelle.

 

S’ensuit une invitation à la fête des sorcières à Ellezelles. Par ailleurs, Achille et Pélagie sont invités à la ronde des géants portés à Steenvoorde (en France), qui regroupe une centaine de géants.

 

Petit à petit cependant, une triste constatation s’impose. Si parmi les musiciens un certain renouvellement a lieu (il y a toujours eu de 4 à 8 musiciens, en général 5 ou 6), ce n’est pas le cas chez les danseurs. De nombreux nouveaux danseurs ont essayé d’entrer dans le groupe, mais le niveau technique demandé était très élevé (“on aurait dû avoir un groupe pour débutants”), et de plus on n’y dansait jamais en couple : ce n’était pas un problème pour le noyau de base, très soudé, de danser par exemple des amoureuses, mais c’en était un pour les couples qui venaient. Puis certains danseurs sont devenus moins disponibles (la famille, les responsabilités professionnelles), et le personnel a vieilli, les problèmes physiques apparaissent : “Quinze ans de danses hongroises, c’est dévastateur pour les articulations”.

 

D’où la décision de laisser tomber les spectacles, et d’essayer de transmettre en ouvrant les séances aux gens de l’extérieur. Ce qui a eu peu de succès, à cause de la difficulté du matériel. A la fin des années 90, le groupe a alors frôlé l’extinction.  Mais cet essai de transmission a donné aux Bousineus le goût de faire danser tout un chacun. Ils se sont tournés vers les musiques de bal et ont organisé une fois par mois un atelier suivi d’un bal, en proposant des danses chorégraphiées (par Renaat Van Craenenbroeck, par Kathleen ou sa soeur) qu’ils avaient pratiquées. En considérant que les danses chorégraphiées ne sont pas une fin en soi, mais un moyen de donner un vocabulaire aux danseurs. Paul et Kathleen constatent en effet que de plus en plus de public participe aux “bals dits folk”, mais que ce public danse moins bien.

 

Gennetines, et le point final

 

Marianne Thielemans, qui avait participé avec ses parents à la création des rencontres de Gennetines, était sollicitée pour y donner un stage de danses belges. Elle a transmis la demande aux Bousineus, qui ont accepté et ont été tellement enthousiasmés qu’ils y sont retournés trois fois. Sur un petit podium avec de bons danseurs, les échanges furent excellents. Les Bousineus apportaient non seulement leurs disques mais aussi les descriptions des danses. Plus généralement, l’atmosphère séduisante de Gennetines (“on donne et on reçoit”) a notablement fait évoluer leur conception du bal, en l’élargissant à des scottisches syncopées, aux valses asymétriques, aux polskas, au Zwiefacher, ... Alors que les Bousineus pratiquaient auparavant, sans être puristes, une musique construite sur le folklore belge, leur répertoire s’est élargi, en intégrant même le tango et la java (“en 1960 on trouvait que la polka et la mazurka étaient traditionnelles, eh bien maintenant le tango est devenu traditionnel”). Ils remarquent d’ailleurs qu’il y avait un stage de valse Boston au dernier Gennetines : les danses de salon reviennent, on redécouvre la danse de couple. Ils se sont également mis à créer leurs musiques.

 

Mais maintenant, nous dit Paul Claeys, “On a fait le tour, l’âge se fait sentir, et je suis arrivé à un palier en musique tout comme jadis j’étais arrivé à un palier en danse”. Il a envie de faire de la musique de chambre. Les Bousineus n’auront plus d’activités régulières, mais il se peut qu’ils jouent encore si on le leur demande. Quant à Kathleen : “Je danse depuis l’êge de cinq ans, j’ai réalisé tout ce dont j’avais envie. Je préfère m’arrêter maintenant, quand les gens sont encore demandeurs”.

 

Les ateliers ont fait bien du plaisir aux Bousineus. Cependant, c’est un éternel recommencement : les gens ne retiennent pas ce qu’ils ont appris. Après cinq ou six saisons d’ateliers, c’est quand même un peu frustrant. Nous posons cette question à Paul Claeys : “Certains disent que la tradition s’apprend dans les bals, pas dans les stages qui seraient une invention moderne. Qu’en penses-tu ?”, et la réponse fuse : “Ce n’est pas correct. Les violoneux wallons venaient l’après-midi pour enseigner des danses telles que contredanses et quadrilles, avant la fête du soir. Il existe bien une tradition d’atelier-bal. On le sait par des récits de collectage réalisés entre les deux guerres, ainsi que par des écrits, des descriptions de festivités”.

 

Les caractéristiques des Bousineus

La musique a toujours été très importante chez les Bousineus. C’est l’élément constructeur de leurs activités, le point de cristallisation du groupe, la référence pour les spectacles. Paul Claeys compare cette approche à celle d’Eric Limet, qu’il respecte mais qu’il ne partage pas du tout : “les musiciens ne sont pas des vaches à lait”. Les Bousineus ont construit de la musique qui leur fait plaisir, au point qu’ils ont inséré des passages fugués alors que le principe de la fugue est difficile pour les danseurs - ils ne considèrent pourtant pas les danseurs comme secondaires. Font-ils “de la confiture pour les cochons” ? Peut-être, nous répondent Paul et Kathleen, pour les danseurs débutants et moyens qui q’y perdent parfois lors de certaines variations, mais qui s’arrêtent, s’asseoient et sont ravis d’écouter.

 

Dans le noyau de base, il y a toujours eu une symbiose musiciens - danseurs. Les musiciens étaient presque tous d’anciens danseurs. Parmi les danseurs, beaucoup ont fait de la musique ou ont chanté.

 

Le choix des instruments : “on a fait avec ce qu’on avait, et cela nous plaisait. Nous avons subi la réprobation silencieuse ou véhémente de partisans du folklore pur et dur”. Les instruments à anches ont toujours fortement marqué la sonorité du groupe. Une vielle à roue à côté d’un saxophone, c’était inattendu en 1977. Les Bousineus voulaient s’adresser aux oreilles modernes, et non reproduire un folklore disparu. Par ailleurs, ils ont toujours essayé d’échapper, dans la mesure du possible, à la sonorisation, à l’estrade et aux micros qui gênent le contact direct avec le public. Il faut parfois pouvoir jouer au milieu des danseurs. Heureusement leurs instruments avaient souvent une bonne portée sonore (comme le violon à busette de Claudine Goche). En tout cas, lorsqu’une sono était nécessaire, le niveau n’était pas trop fort “contrairement aux boombals et même à Muziekpublique”. Les Bousineus apprécient énormément le travail de Daniel Léon (des studios Igloo, et prof à l’INSAS), qui a réalisé leurs cd et a toujours respecté leurs desiderata.

            

Autre caractéristique : le choix d’interpréter des musiques de toutes les parties de la Belgique. Cela leur a valu de ne jamais recevoir de subsides, et de ne pas être bien vus par les puristes du nord et du sud.

 

Enfin, leurs interprétations et leurs compositions ne sont pas enregistrées à la Sabam. En partie par paresse : ils n’avaient pas envie de constituer le groupe en association formelle avec stauts, assemblées générales, etc (ce qui fait qu’ils ne se sont pas non plus affiliés à Art et Vie). En partie aussi par manque de motivation financière. Et puis, avant de recevoir des droits d’auteur, il faut payer. Ils ont fait un rapide calcul : il aurait fallu se démener pour “vendre sa marchandise”, pour faire leur propre publicité. Même pour les compositions, cela n’en valait pas la peine.

 

Pas de tristesse pour cette clôture. De la nostalgie, oui, mais comme lors de toutes les évolutions de la vie. Des pages se tournent, c’est positif lorsqu’elles se tournent sur une réussite, et c’est visiblement le cas pour les Bousineus et les “Bousineus danse”. Paul Claeys juge merveilleux d’avoir pu consacrer à la musique plus d’un tiers, voire la moitié, du temps qu’il a consacré à ses occupations professionnelles. Sans avoir suivi de cours d’harmonie, il a créé des arrangements par essai et erreur, sur son harmonium. Il a plein de souvenirs inoubliables, qui apparemment se prolongeront encore sous d’autres formes.

 

Les Bousineus organisent leur fête finale ce 2 décembre de 15h à 22h à la ferme de Holleken à Linkebeek (voir en page 15), mais il est désormais trop tard pour s’inscrire.

 

Discographie :

    1987 : LP Les Bousineus

    1995 : double cd “Musiques de Belgique” (le premier est la réédition en cd du LP)

    2004 : Les Bousineus III “Au diable la varice !”

    2007 : Les Bousineus IV “Laisse tes mains sur mes anches”

 

Contact : Paul Claeys 02/672 38 89